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savoir par quelle voie je pourrai mettre à ses pieds le premier tome. Je me flatte que sa santé est rétablie. J’emploie le temps que mes maux me laissent à travailler pour elle, à préparer mon hommage et à regretter sa cour. Je lui souhaite des années dont le bonheur égale ses grâces et ses vertus.


2675. — À M. JEAN NÉAULME,
libraire de la haye et de berlin.
À Colmar, 28 décembre 1753[1].

J’ai lu avec attention et avec douleur le livre intitulé Abrègé de l’Histoire universelle, dont vous dites avoir acheté le manuscrit à Bruxelles. Un libraire de Paris, à qui vous l’avez envoyé, en a fait sur-le-champ une édition aussi fautive que la vôtre. Vous auriez bien dû au moins me consulter avant de donner au public un ouvrage si défectueux. En vérité, c’est la honte de la littérature. Comment votre éditeur a-t-il pu prendre le huitième siècle pour le quatrième, le treizième pour le douzième, le pape Boniface VIII pour Boniface VII ? Presque chaque page est pleine de fautes absurdes. Tout ce que je peux vous dire, c’est que tous les manuscrits qui sont à Paris, ceux qui sont actuellement entre les mains du roi de Prusse, de monseigneur l’électeur Palatin, de Mme  la duchesse de Gotha, sont très-différents du vôtre. Une transposition, un mot oublié, suffisent pour former un sens absurde ou odieux. Il y a malheureusement beaucoup de ces fautes dans votre ouvrage. Il semble que vous ayez voulu me rendre ridicule et me perdre en imprimant cette informe rapsodie, et en y mettant mon nom. Votre éditeur a trouvé le secret d’avilir un ouvrage qui aurait pu devenir très-utile. Vous avez gagné de l’argent : je vous en félicite ; mais je vis dans un pays où l’honneur des lettres et les bienséances me font un devoir d’avertir que je n’ai nulle part à la publication de ce livre, rempli d’erreurs et d’indécences ; que je le désavoue ; que je le condamne ; et que je vous sais très-mauvais gré de votre édition.


Voltaire.
  1. Malgré Colini, je conserve ou restitue à cette lettre la date du 28 décembre 1753, qu’elle porte dans le Mercure de février 1754 (page 56), où elle parut pour la première fois. (B.)