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Mme  la duchesse de Saxe-gotha se plaignait avec tant de grâce de ne pouvoir lire aucune histoire de son pays qu’elle me fit entrer malgré moi dans une carrière qui m’était étrangère. L’affaire est faite ; c’est un temps de ma vie perdu ; heureux encore qui ne perd que son temps ! mais je suis privé de vous et de la santé. Ah ! mon adorable ami, est-ce que je pourrais espérer de vous voir à la campagne, avec Mme  d’Argental ? Mille tendres respects à tous ceux qui soupent avec vous ; les soupers me sont interdits pour jamais.

Je voudrais bien voir ce que M. de Mairan a écrit sur l’inoculation. À la fin, la nation y viendra peut-être comme à la gravitation ; elle arrive tard à tout. Toutes les grandes inventions nous viennent d’ailleurs ; nous les combattons d’ordinaire pendant cinquante ans, et puis nous disons que nous les perfectionnons. Faites ressouvenir de moi, je vous en prie, MM. de Mairan et de Sainte-Palaye, En voilà beaucoup pour un malade. Mon cher ange, je vous embrasse avec cette inaltérable amitié dont vous me faites éprouver les charmes.


2669. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
Colmar, le 4 décembre.

J’ai vu M. le baron d’Hattsatt[1], madame. Tout ce qui vous appartient me paraît bien aimable, et redouble le tendre intérêt que j’ai pris si longtemps à tant de malheurs. Madame la première présidente[2] daigna venir voir le pauvre goutteux avant de partir pour Paris. Je vous dois les bontés dont votre respectable famille m’honore. Mais pourquoi faut-il que je sois loin de vous ? Les maux me clouent à Colmar, et la goutte est encore un surcroît de mes souffrances, sans en avoir diminué aucune. Il n’y a que les sentiments qui m’attachent à vous qui puissent me donner la force d’écrire.

Remerciez bien, madame, la nature et votre sagesse, qui vous ont conservé la santé. Quand les maladies se joignent aux maux de l’âme, quelle ressource reste-t-il ? La vie alors n’est qu’une longue mort. Et combien de gens sont dans cet état ! On ne les voit point, parce que les malheureux se cachent. Ceux qui sont dans l’âge des illusions se montrent, et font la foule, en atten-

  1. L’un des neveux de Mme  de Lutzelbourg.
  2. Mme  de Klinglin, née Montjoie d’Hémericourt.