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Majesté, elle croit pouvoir vous absoudre, sinon en entier, du moins en partie. Ce serait, à la vérité, en faveur de quelque acte de contrition et de pénitence imposée ; mais comme, dans l’empire de Satan, on déférait beaucoup au génie, je crois que, en faveur de vos talents, on pourrait pardonner les fautes qui auraient pu faire quelque espèce de tort à votre cœur. Voici les paroles du souverain pontife, que j’ai recueillies avec soin. C’est plutôt une prophétie.


2531. — À L’ABÉ DE PRADES[1].
Berlin, au Belvédère, 15 mars.

Cher abbé, votre style ne m’a pas paru doux. Vous êtes un franc secrétaire d’État ; mais je vous avertis qu’il faut que je vous embrasse avant mon départ. Je ne pourrai vous baiser, car j’ai les lèvres trop enflées de mon diable de mal. Vous vous passerez bien de mes baisers, mais ne vous passez point, je vous en prie, de ma vive et sincère amitié. Je vous avoue que je suis désespéré de vous quitter, et de quitter le roi ; mais c’est une chose indispensable. Voyez avec le cher marquis, avec Fredersdorff, pardieu avec le roi lui-même, comment vous pourrez faire pour que j’aie la consolation de le voir avant mon départ. Je le veux absolument ; je veux embrasser de mes deux bras l’abbé et le marquis. Le marquis ne sera pas plus baisé que vous ; le roi non plus. Mais je m’attendrirai ; je suis faible, je suis une poule mouillée. Je ferai un sot personnage ; n’importe, je veux encore une fois prendre congé de vous deux. Si je ne me jette pas aux pieds du roi, les eaux de Plombières me tueront. J’attends votre réponse pour quitter ce pays-ci en homme heureux ou en infortuné.

Comptez sur moi pour la vie.


2532. — À MADAME DENIS.
À Berlin, le 15 mars.

Je commence à me rétablir, ma chère enfant. J’espère que votre ancienne prédiction[2] ne sera pas tout à fait accomplie. Le roi de Prusse m’a envoyé du quinquina pendant ma maladie ; ce n’est pas cela qu’il me faut : c’est mon congé. Il voulait que je

  1. Tirée des archives du Cabinet de Berlin, et publiée dans les Œuvres de Frédéric le Grand, tome XXII, page 308 ; Berlin, 1853.
  2. Mme  Denis avait prédit à Voltaire que le roi de Prusse le ferait mourir de chagrin. Voyez la lettre du 26 août 1753.