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n’ont pas agi en héros, et mériteraient d’être martyrs. Si on avait Iraité ainsi une Anglaise, la nation ne le souffrirait pas ; mais on fait aux Françaises tout ce qu’on veut, et on ne s’en inquiète pas.

Si j’avais cru vous trouver à Plombières, j’y aurais couru, et ne me serais arrêté ni à Mayence, ni chez l’électeur palatin ; mais le temps s’est passé, mes doigts se sont enflés, et me voici à Strasbourg avec des mains un peu trop grosses attachées à des bras fort maigres. Les rois m’ont lutiné, et Dieu me lutine à présent ; j’ai beaucoup de résignation à ces deux puissances.


2642. — À MADAME LA DUCHESSE DE LUTZELBOURG.
Le 2 septembre.

Je l’ai lu, madame, ce Mémoire[1] touchant, dont vous me faites l’honneur de me parler. C’est par où j’ai commencé, en arrivant à Strasbourg. Je ne vois pas ce que la rage de nuire pourrait opposer à des raisons si fortes. Je suis encore un peu enthousiaste, malgré mon âge. L’innocence opprimée m’attendrit ; la persécution m’indigne et m’effarouche. Je prends le plus vif intérêt à cette affaire, même indépendamment des sentiments qui m’attachent à vous depuis si longtemps. J’ai entendu beaucoup parler, beaucoup raisonner dans mon ermitage, où il vient trop de monde, et où je ne voulais voir personne. Je conclus, moi, à faire élever un monument à la gloire de votre frère, et à recevoir monsieur son fils en triomphe à Strasbourg. Tout ce que je sais, c’est que feu M. de klinglin[2] a rendu, pendant trente ans, Strasbourg respectable aux étrangers, et que la patrie ne lui doit que de la reconnaissance. On dit que l’affaire est jugée au moment que je vous écris, et j’attends avec impatience le moment de juger l’arrêt. Le tribunal des honnêtes gens et des esprits fermes est le dernier ressort pour les persécutés.

Mme  de Gayot[3] est venue dans ma solitude. Dieu veuille que

  1. Il concernait Christophe de Klinglin, frère de Mme  de Lutzelbourg, et premier président du conseil souverain de Colmar.
  2. Voyez page 113.
  3. Cette dame est peut-être la mère du petit Gayot, dont Voltaire parle dans sa lettre à Mme  de Lutzelbourg, du 5 décembre 1757. C’est probablement le même personnage dont il est question dans l’article Jésuites des Questions sur l’Encyclopédie (voyez tome XIX, page 501, et qui, d’après les éditions de Kehl, est la nommé Guyot). Toutes les éditions de l’article Jésuites données du vivant de l’auteur portaient seulement l’initiale G. (B.)