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que je lui avais confié. Vous m’avez écrit qu’il avait satisfait à tout ce que je demandais de lui. Ne différez donc point de mettre fin à tout cela, parce que, sans doute, s’il était survenu quelque incident nouveau, vous m’en auriez averti. Sur ce, je prie Dieu, etc.


Fédéric.

2624. — À MADAME DENIS[1].
À Mayence, le 9 de juillet.

Il y avait trois ou quatre ans que je n’avais pleuré, et je comptais bien que mes vieilles prunelles ne connaîtraient plus cette faiblesse, jusqu’à ce qu’elles se fermassent pour jamais. Hier, le secrétaire du comte de Stadion[2] me trouva fondant en larmes ; je pleurais votre départ et votre séjour ; l’atrocité de ce que vous avez souffert perdait de son horreur quand vous étiez avec moi : votre patience et votre courage m’en donnaient ; mais, après votre départ, je n’ai plus été soutenu.

Je crois que c’est un rêve ; je crois que tout cela s’est passé du temps de Denis de Syracuse. Je me demande s’il est bien vrai qu’une dame de Paris, voyageant avec un passe-port du roi son maître, ait été traînée dans les rues de Francfort par des soldats, conduite en prison sans aucune forme de procès, sans femme de chambre, sans domestique, ayant à sa porte quatre soldats la baïonnette au bout du fusil, et contrainte de souffrir qu’un commis de Freytag, un scélérat de la plus vile espèce, passât seul la nuit dans sa chambre. Quand on arrêta la Brinvilliers, le bourreau ne fut jamais seul avec elle ; il n’y a point d’exemple d’une indécence si barbare. Et quel était votre crime ? d’avoir couru deux cents lieues pour conduire aux eaux de Plombières un oncle mourant, que vous regardiez comme votre père.

Il est bien triste, sans doute, pour le roi de Prusse, de n’avoir pas encore réparé cette indignité commise en son nom par un homme qui se dit son ministre. Passe encore pour moi ; il m’avait fait arrêter pour ravoir son livre[3] imprimé de poésies, dont il m’avait gratifié, et auquel j’avais quelque droit ; il me l’avait laissé comme le gage de ses bontés et comme la récompense de mes soins. Il a voulu reprendre ce bienfait ; il n’avait qu’à dire un mot, ce n’était pas la peine de faire emprisonner un vieillard

  1. La réponse de Mme  Denis est plus bas, à la date du 26 août.
  2. Celui auquel Voltaire adressa les lettres des 5, 7, et 26 juin 1753, et du 14 juillet suivant.
  3. Voyez lettre 2568.