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à ses pieds l’été prochain, si je suis en vie. Je n’ai plus besoin actuellement de prétexte, je n’ai besoin que de la continuation de vos bontés. J’irai passer huit jours auprès du roi Stanislas ; c’est un devoir que je dois remplir ; et le reste sera a Votre Majesté. Soyez, je vous en conjure, bien persuadé que je n’avais imaginé ce chiffon noir[1] que parce que alors le roi Stanislas n’aurait pas souffert que je le quittasse. Je croyais que vous aviez fait cette grâce à M. de Maupertuis. Il est encore très-vrai, et je vous le répète, et ce n’est point une tracasserie, que le bruit avait couru, à mon dernier voyage à votre cour, que vous m’aviez retiré vos bonnes grâces. Je ne disais pas à Votre Majesté que M. d’Argens avait écrit contre moi ; je vous disais et je vous dis encore que, dans un certain livre de morale dont le titre m’a échappé, et qui était rempli de portraits, il avait relevé ce bruit dont je vous ai parlé ; je lui ai même cité, dans la lettre que je lui ai écrite, l’endroit où il parle de moi ; il doit s’en souvenir. C’est après le portrait d’Orcan, qu’il dépeint comme un courtisan dangereux par sa langue. Il me lait paraître sous le nom d’Euripide. Il dit « qu’Euripide arrive à la cour d’un grand roi, qu’il y est d’abord bien reçu, mais que bientôt le roi se dégoûte ; qu’alors les courtisans, comme de raison, le déchirent. Que faut-il, ajoute-t-il, pour que la cour dise du bien d’Euripide ? qu’il revienne, et que le roi jette un coup d’œil sur lui ».

Voilà à peu près les paroles de son livre, qu’il m’envoya lui-même ; voilà ce que j’ai, en dernier lieu, remis dans sa mémoire, et ce que j’ai mandé à Votre Majesté. J’étais bien loin d’écrire et de penser qu’il eût écrit pour m’offenser. Encore une fois, sire, je vous disais qu’il avait relevé le bruit qui courait que j’étais mal auprès de vous. C’est ce que j’affirme encore, non pas assurément pour me plaindre de lui, que j’aime tendrement, mais pour faire voir à Votre Majesté que j’avais besoin d’une marque publique de votre bonté pour moi, si vous vouliez que je parusse dans votre cour.

Voilà bien des paroles ; mais il faut s’entendre, et ne rien laisser en arrière à ceux à qui on veut plaire, dût-on les fatiguer.

Vous avez bien raison, sire, de me dire que je suis fait pour être volé, car on m’a volé Sémiramis, et cette petite comédie de Nanine dont on avait parlé à Votre Majesté. On les a imprimées de toutes manières à mes dépens, pleines de fautes absurdes, et de sottises beaucoup plus fortes que celles dont je suis capable.

  1. Voyez la lettre 2007.