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pour vous, et je vous en consacrerai les fredons ; mais je vous supplie, en attendant, de croire que je suis en prose un de vos plus sincères admirateurs. Je vous remercie très-sérieusement de l’honneur que vous faites aux lettres. Permettez-moi de faire mes compliments à M. du Boccage[1] J’ai l’honneur d’être, madame, avec une reconnaissance respectueuse, etc.


2000. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Lunéville, le 21 août.

Je reçus hier la consolation angélique, et j’envoie aujourd’hui le reste de mon grimoire.

Je commence par vous supplier de le lire dans le même esprit que je l’ai fait. Dépouillez-moi le vieil homme[2], mes anges, et jetez jusqu’à la dernière goutte de l’eau rose qu’on a mise jusqu’à présent dans la tragédie française. C’est Rome ici qui est le principal personnage ; c’est elle qui est l’amoureuse, c’est pour elle que je veux qu’on s’intéresse, même à Paris. Point d’autre intrigue, s’il vous plaît, que son danger ; point d’autre nœud que les fureurs artificieuses de Catilina, la véhémence, la vertu agissante de Cicéron, la jalousie du sénat, le développement du caractère de César ; point d’autre femme qu’une infortunée d’autant plus naturellement séduite par Catilina qu’on dit dans l’histoire et dans la pièce que ce monstre était aimable.

Je ne sais pas si vous frémirez au quatrième acte, mais moi, j’y frémis. La pièce n’a aucun modèle ; ne lui en cherchez pas :


In nova fort animus · · · · · · · · · · · · · · ·

(Ovid., Met., lib. I, v. 1.)

Je sais que c’est un préjugé dangereux que la précipitation de mon travail. Il est vrai que j’ai fait l’ouvrage en huit jours, mais il y avait six mois que je roulais le plan dans ma tête, et que toutes ces idées se présentaient en foule pour sortir. Quand j’ai ouvert le robinet, le bassin s’est rempli tout d’un coup.

Ah ! que Mme d’Argental a dit un beau mot ! qu’il faut ne songer qu’à bien faire, et ne pas craindre les cabales. Ce que je crains, ce sont les acteurs ; et je prendrai plutôt le parti de faire

  1. P.—J. Fiquel du Boccage, né en 1700, mort en 1767. Il cultivait aussi les lettres.
  2. Saint Paul, Épitre aux Éphésiens, chap. xxii ; et aux Colossiens iii, 9.