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sonne ne fouille, des épées rouillées, mais excellentes, dont un bon guerrier peut se servir pour percer les sots.

Belzébuth vous ait en sa sainte garde ! mon cher marquis, je vous aime de tout mon cœur. Tâchez de venir aujourd’hui chez votre frère le damné, qui souffre plus que jamais.


2522. — À MADAME***[1] !.
Berlin.

Je me sers, madame, des correspondants des négociants de Berlin pour vous remercier de la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Il y a longtemps que je compte votre nom, et celui d’un de vos amis, parmi ceux qui font le plus d’honneur à notre siècle. La liberté de penser est la vie de l’âme, et il paraît qu’il n’y a pas beaucoup d’âmes plus vivantes que la vôtre. C’est un grand malheur qu’il y ait si peu de gens en France qui imitent l’exemple des Anglais, nos voisins. On a été obligé d’adopter leur physique, d’imiter leur système de finance, de construire les vaisseaux selon leur méthode ; quand les imitera-t-on dans la noble liberté de donner à l’esprit tout l’essor dont il est capable ? Quand est-ce que les sots cesseront de poursuivre les sages ? On marche continuellement à Paris entre les insectes littéraires qui bourdonnent contre quiconque s’élève, et des chats-huants qui voudraient dévorer quiconque les éclaire. Heureux qui peut cultiver en paix les lettres, loin des bourdons et chats-huants ! Je suis sous la protection d’un aigle ; mais une mauvaise santé, pire que tous les chagrins attachés en France à la littérature, m’ôte tout mon bonheur. Ainsi tout est compensé. Je serais trop heureux si la nature ne s’avisait pas de me persécuter autant que la fortune me favorise. Si l’état de ma santé, madame, me permet jamais de revoir la France, un de mes beaux jours serait celui où je pourrais vous assurer de mon respect, et dire à votre ami tout ce que la plus profonde estime m’inspirerait pour vous et pour lui. Permettez qu’en philosophe je finisse sans compliments ordinaires et sans signer. Vous me reconnaîtrez assez par ceux qui vous feront tenir ma lettre.

  1. Cette lettre, imprimée dans le Moniteur du 23 vendémiaire an IX, a été écrite pendant que Voltaire était encore en faveur auprès de Frédéric, ou du moins avant l’éclat de sa disgrâce, et conséquemment est antérieure à mars 1753.