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la philosophie, et laissez les profanes douter de la chronologie de Moïse et des monades. Tâchez de conserver la vôtre ; faites-vous couvrir de poix-résine ; essayez de vous mettre de grandes épingles dans le cul, suivant l’avis de l’auteur des nouvelles Lettres[1]. Tâtez des forces centrifuges, ou plutôt faites-vous embaumer tout vivant, afin de n’attraper que dans sept ou huit cents ans ce point de maturité qui est la mort. Pour moi, si je peux jamais rattraper ma jeunesse, je compte aller faire un tour aux terres australes avec Dalichamp, et disséquer des cervelles de géants hauts de douze pieds, et des hommes velus comme des ours avec des queues de singe. Alors nous saurons des nouvelles positives de la nature de l’âme ; j’exalterai la mienne pour vous prédire l’avenir : car vous savez qu’un peu d’exaltation fait voir le futur comme le passé. Je vous prédis donc que ceux qui tourneront les sottises de ce monde en raillerie seront toujours les plus heureux, et, pour revenir du futur au passé, je vous jure que Démocrite avait raison et qu’Héraclite avait tort. Croyez-moi, ne mettez aux choses que leur prix, et ne prenez point de grosses balances pour peser des toiles d’araignée. Il y a mille occasions où un vaudeville vaut mieux qu’une lamentation de Jérémie.

À propos de chanson, par quelle rage diabolique révoquez-vous en doute la chanson de l’archevêque de Cambrai[2] ? Savez-vous bien que vous êtes un impie d’armer l’incrédulité, qui triomphe tant dans ce siècle pervers, contre une chanson d’un successeur des apôtres ? Je vous dis devant Dieu que le marquis de Fénelon me récita cette chanson à la Haye, en présence de sa femme et de l’abbé de La Ville. Eh ! morbleu ! faites comme l’archevêque de Cambrai ; détrompez-vous de tout.

Adieu ; je ne me porte pas mieux que vous ; le moins malade ira voir l’autre.


2488. — À M. BAGIEU.
Berlin, le 19 décembre.

Votre lettre, monsieur, vos offres touchantes, vos conseils, font sur moi la plus vive impression, et me pénètrent de reconnaissance. Je voudrais pouvoir partir tout à l’heure, et venir me

  1. Les Lettres dont Voltaire se moque dans la Diatribe du dortfur Akakia (tome XXIII, page 560).
  2. Voyez tome XV, pages 72 et 140 ; et, tome XXIX, page 253, le neuvième des Fragments sur l’Histoire.