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le permettent, et nous raisonnerons amplement sur ce que tous me mandez.

Je vous viendrai voir en bonne fortune, et ni l’un ni l’autre ne s’en vantera.


2484. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
À Berlin, le 18 décembre.

Mon cher et respectable ami, je ne peux pas plus à présent changer de climat que changer mes vers. Un érysipèle rentré m’enterrerait sur les bords de l’Elbe ou du Weser, et il serait fort ridicule d’aller mourir dans un mauvais cabaret de la Westphalie. Votre charmante lettre du 7 décembre, votre tendre amitié, me feront vivre jusqu’au printemps. Vous me faites plus de bien que les médecins ne pourraient me faire de mal. Vos lettres me ressuscitent, mais on dit que Mlle  Gaussin tue le Duc de Foix. Cette Gaussin est actuellement un médecin d’eau douce.

Ce que vous dites de Lamotte me fait trembler. Quoi ! on l’a cru heureux étant aveugle et impotent ; et, parce qu’on a été assez sot pour le croire heureux, on est assez cruel pour persécuter sa mémoire[1] ! Comment serais-je donc traité, moi qui ai les apparences du bonheur, qui ai l’air d’appartenir à deux rois à la fois, moi qui suis plus riche que Lamotte, et qui ai été plus amoureux du roi de Prusse que Lamotte ne croyait l’être de Mme  la duchese du Maine ? Je m’en vais prier M. Berryer[2] de permettre qu’on affiche à Paris : « Voltaire avertit tous les gens de lettres qu’il n’est point heureux. »

Si vous avez lu cet article de Lamotte lisez donc celui de Rousseau, et vous y verrez la réponse à la réflexion que vous faites que les heureux sont haïs. Mon cher ange, je n’ai dit sur Lamotte, et sur Rousseau, et sur Fontenelle, que ce que je crois la pure vérité. Je les ai traités comme Louis XIV. J’aurais ajouté quelques couleurs rembrunies au portrait de Mme  de Maintenon si j’avais vu plus tôt ses Lettres. Elle est tout ce que vous dites, et toutes les dévotes de cour sont comme elle. De l’ignorance, de la faiblesse, de la fausseté, de l’ambition, du manège, des messes, des sermons, des galanteries, des cabales : voilà ce qui compose

  1. Il s’agit des Mémoires pour servir à l’histoire des couplets de 1710, attribués faussement à M. Rousseau, Bruxelles, 1752, petit in-12 ; nouvelle édition, 1753, même format.
  2. Lieutenant général de police.