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lina éperdument épris de sa femme, avec qui il est marié en secret, femme vertueuse et qui aime véritablement son mari ; Catilina forcé de tuer le père de sa femme, dans l’instant que ce Romain va révéler la conspiration. Voilà en gros, madame, ce que l’on désirait et ce que l’on a trouvé pour le fonds. Peut-être la longue habitude que j’ai de faire des vers, la sublimité du sujet, surtout l’ardeur de vous plaire, m’ont élevé au-dessus de moi-même. Mme  du Châtelet me flatte que Votre Altesse trouvera Catilina le moins mauvais de mes ouvrages ; je n’ose m’en flatter. Je le souhaite pour l’honneur des lettres, si indignement déshonorées ; et il faut, de plus, qu’un ouvrage fait par vos ordres soit bon. Mais enfin, que mon obéissance et mon zèle me tiennent lieu de quelque chose. Protégez donc, madame, ce que vous avez créé. On m’apprend que votre protection nous donne l’abbé Le Blanc pour confrère à l’Académie. Il vous est plus aisé, madame, de donner une place au mérite que de donner le talent nécessaire pour faire Catilina.

Il faut à présent revoir avec un flegme sévère ce que j’ai fait avec le feu de l’enthousiasme ; il s’agit d’être correct et élégant : voilà ce qui coûte plus qu’une tragédie. Je ne me console point de n’être point aux pieds de Votre Altesse dans Anet : c’est là que j’aurais dû travailler ; mais votre royaume est partout. J’ai combattu pour vous sur la frontière contre les barbares[1] ; c’est votre étendard que je porte.

Je suis avec un profond respect, etc.


1994. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Sans-Souci, 15 août.

Si mes vers ont contribué à l’Épître[2] que je viens de recevoir, je les regarde comme mon plus bel ouvrage. Quelqu’un qui assista à la lecture de cette Épître s’écria dans une espèce d’enthousiasme : « Voltaire et le maréchal de Saxe ont le même sort ; ils ont plus de vigueur dans leur agonie que d’autres en pleine santé. »

Admirez cependant la différence qu’il y a entre nous deux : vous m’assurez que mes vers ont excité votre verve, et les vôtres ont pensé me faire abjurer la poésie. Je me trouve si ignorant dans votre langue, et si sec d’imagination, que j’ai fait vœu de ne plus écrire. Mais vous savez malheureusement ce que sont les vœux des poètes, les zéphyrs les emportent sur leurs ailes, et notre souvenir s’envole avec eux.


  1. Les partisans de Crébillon, et ce poëte lui-même.
  2. l’Épître à Mme  Denis.