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Il doit avoir gagné, par l’édition des Lettres[1] de madame de Maintenon, de quoi pouvoir se passer du profit léger qu’il pourrait tirer d’une édition furtive. D’ailleurs il doit considérer que toute la librairie se réunira contre lui. Les gens de lettres se plaignent d’ordinaire que les libraires contrefont leurs ouvrages, et ici c’est un homme de lettres qui contrefait l’édition d’un libraire ; c’est un étranger qui, dans l’empire, attaque un privilège de l’empereur. Que M. de La Beaumelle en pèse toutes les conséquences. Les remarques critiques qu’il joint à son édition ne sont pas une excuse envers mon libraire, et sont envers moi un procédé dont j’aurais sujet de me plaindre. Je ne connais M. de La Beaumelle que par les services que j’ai tâché de lui rendre.

Il m’écrivit, il y a un an, du palais de Copenhague, pour m’intéresser à des éditions des auteurs classiques français qu’on devait faire, disait-il, en Danemark, et dont le roi de Danemark le chargeait, à limitation des éditions qu’on a nommées en France les Dauphins. Je crus M. de La Beaumelle, et mon zèle pour l’honneur de ma patrie me fit travailler en conséquence.

Quelque temps après je fus étonné de le voir arriver à Potsdam. Il était renvoyé de Copenhague, où il avait d’abord prêché en qualité de proposant, et où il était, je crois, de l’Académie. Il voulait s’attacher au roi de Prusse, et il me présenta, pour cet effet, un livre dans lequel il me traitait assez mal, moi et plusieurs des chambellans. Il y avait beaucoup de choses dont le roi de Danemark et plusieurs autres puissances devaient s’offenser. Ce livre, imprimé à Copenhague, intitulé Mes Pensées, n’était pas encore trop public ; il promit de le corriger, et je crois, en effet, qu’il en a fait une édition corrigée à Berlin. Il sait que, quoique j’eusse beaucoup à me plaindre d’une pareille conduite, je l’avertis cependant de plusieurs petites inadvertances dans lesquelles il était tombé sur ce qui regarde l’historique ; par exemple sur la constitution d’Angleterre, sur M. Pâris-Duverney, et sur d’autres erreurs qui peuvent échapper à tout écrivain.

Lorsqu’il fut mis en prison à Berlin, tout le monde sait que je m’intéressai pour lui, et que je parlai même vivement à milord Tyrconnell, qui avait, disait-on, contribué à son emprisonnement, et à le faire renvoyer de la ville. Milord Tyrconnell, à qui il écrivit pour se plaindre à lui de lui-même, lui répondit :

  1. Première édition ; Nancy, 17525 ; 2 vol. in-12. — Celle de 1756 est en 9 volumes, même format. (Cl.)