Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/514

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les journalistes d’Allemagne, qui ne se doutaient pas qu’un monarque qui a gagné des batailles fût l’auteur d’un tel ouvrage, en ont parlé librement comme de l’essai d’un écolier qui ne sait pas un mot de la question. Cependant on a réimprimé la brochure à Berlin, avec l’aigle de Prusse, une couronne, un sceptre, au-devant du titre. L’aigle, le sceptre, et la couronne, sont bien étonnés de se trouver là. Tout le monde hausse les épaules, baisse les yeux, et n’ose parler. Si la vérité est écartée du trône, c’est surtout lorsqu’un roi se fait auteur. Les coquettes, les rois, les poètes, sont accoutumés à être flattés. Frédéric réunit ces trois couronnes-là. Il n’y a pas moyen que la vérité perce ce triple mur de l’amour-propre. Maupertuis n’a pu parvenir à être Platon, mais il veut que son maître soit Denis de Syracuse.

Ce qu’il y a de plus rare dans cette cruelle et ridicule affaire, c’est que le roi n’aime point du tout Maupertuis, en faveur duquel il emploie son sceptre et sa plume. Platon a pensé mourir de douleur de n’avoir point été de certains petits soupers où j’étais admis, et le roi nous a avoué cent fois que la vanité féroce de ce Platon le rendait insociable.

Il a fait pour lui de la prose, cette fois-ci, comme il avait fait des vers pour d’Arnaud, pour le plaisir d’en faire ; mais il y entre un plaisir bien moins philosophe, celui de me mortifier : c’est être bien auteur !

Mais ce n’est encore que la moindre partie de ce qui s’est passé. Je me trouve malheureusement auteur aussi, et dans un parti contraire. Je n’ai point de sceptre, mais j’ai une plume ; et j’avais, je ne sais comment, taillé cette plume de façon qu’elle a tourné un peu Platon en ridicule[1] sur ses géants, sur ses prédictions, sur ses dissections, sur son impertinente querelle avec Kœnig. La raillerie est innocente ; mais je ne savais pas alors que je tirais sur les plaisirs du roi. L’aventure est malheureuse. J’ai affaire à l’amour-propre et au pouvoir despotique, deux êtres bien dangereux. J’ai d’ailleurs tout lieu de présumer que mon marché avec M. le duc de Wurtemberg a déplu. On l’a su, et on m’a fait sentir qu’on le savait. Il me semble pourtant que Titus et Marc-Aurèle n’auraient point été fâchés contre Pline, si Pline avait placé une partie de son bien sur la tête de Plinia, dans le Montbéliard.

Je suis actuellement très-affligé et très-malade, et, pour comble,

  1. Dans la Diatribe du docteur Akakia, etc. ; voyez tome XXIII, pages 560 et suiv.