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totalement. Il y a prodigieusement de baïonnettes et fort peu de livres. Le roi a fort embelli Sparte, mais il n’a transporté Athènes que dans son cabinet ; et il faut avouer que ce n’est qu’à Paris que vous pouvez achever votre grande entreprise. J’ai assez bonne opinion du ministère pour espérer que vous ne serez pas réduit à ne trouver que dans vous-même la récompense d’un travail si utile. J’ai le bonheur d’avoir chez moi M. l’abbé de Prades ; et j’espère que le roi, à son retour de la Silésie, lui apportera les provisions d’un bénéfice[1]. Il ne s’attendait pas que sa Thèse dût le faire vivre du bien de l’Église, quand elle lui attirait de si violentes persécutions. Vous voyez que cette Église est comme la lance d’Achille, qui guérissait les blessures qu’elle avait faites.

Heureusement les bénéfices ne sont point, en Silésie, à la nomination de Boyer ni de Couturier[2]. Je ne sais si l’abbé de Prades est hérétique, mais il me paraît honnête homme, aimable, et gai. Comme je suis toujours très-malade, il pourra bien m’exhorter, à mon agonie ; il l’égayera, et ne me demandera point de billet de confession.

Adieu, monsieur. S’il y a peu de Socrates en France, il y a trop d’Anilus et de Mélitus, et surtout trop de sots ; mais je veux faire comme Dieu, qui pardonnait à Sodome en faveur de cinq justes[3].

Je vous embrasse de tout mon cœur.


Voltaire.

2426. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
À Potsdam, le 5 septembre.

Sire, votre pédant en points et en virgules, et votre disciple en philosophie et en morale, a profité de vos leçons, et met à vos pieds la Religion naturelle[4], la seule digne d’un être pensant. Vous trouverez l’ouvrage plus fort et plus selon vos vues. J’ai suivi vos conseils ; il en faut à quiconque écrit. Heureux qui peut en avoir de tels que les vôtres ! Si vos bataillons et vos escadrons vous laissent quelque loisir, je supplie Votre Majesté de daigner lire avec attention cet ouvrage, qui est en partie l’exposition de vos idées, et en partie celle des exemples que vous donnez au

  1. Frédéric lui donna un bénéfice à Oppelu, et un à Glogau.
  2. Sur Boyer, voyez tome XXXVI, page 193 ; sur Couturier, tome X, une note du Mondain.
  3. La Genèse, xviii, 32, parle de dix justes.
  4. Ou le poome de la Loi nalurelle.