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celui de vous marquer son respect, et de faire pour le sieur de Mouhy quelque chose qui vous serait agréable ; j’agirai de mon côté avec le zèle d’un homme qui vous est attaché depuis longtemps.

J’aurai l’honneur de vous envoyer incessamment, par le courrier de Hambourg, le livre que vous avez la bonté de me demander[1] et sur lequel vous voulez bien jeter la vue. On en fait actuellement une nouvelle édition beaucoup plus correcte et plus ample ; mais il ne faut pas vous étonner si j’ai omis beaucoup de choses dans le récit des batailles. J’ai déclaré expressément que je ne voulais entrer dans aucun détail de ces actions tant de fois et si diversement rapportées par tous les partis. Les opérations de la guerre n’ont point du tout été mon objet. Je n’ai cherché qu’à mettre sous les yeux ce qui peut caractériser le siècle de Louis XIV, les changements faits dans toutes les parties de l’administration, dans l’esprit et dans les mœurs des hommes, et en un mot ce qui distingue ce beau siècle de tous les autres. Si j’ai rapporté quelquefois des circonstances singulières, c’est sur un petit nombre d’événements dont il m’a paru que le public avait de fausses idées. Par exemple, la plupart des citoyens de Paris croyaient que le Tholus était une forteresse imprenable, et qu’on avait passé un grand fleuve à la nage en présence de l’armée ennemie. Vous savez que le Tholus est une petite tour ruinée dans laquelle il n’y a guère que des commis, et qu’il n’y a pas plus de vingt pas à nager au milieu du bras du Rhin, auprès duquel cette maison de péage est située. J’ai connu une femme qui a passé souvent à cheval le bras de la rivière pour frauder les droits.

J’ai rapporté la mort et les paroles de feu M. le maréchal de Marsin telles que me les conta l’ambassadeur d’Angleterre entre les bras duquel il mourut. Si vous vouliez, monseigneur, me faire favoriser de quelques anecdotes curieuses et intéressantes sur ces batailles, j’en ferais usage dans la première édition.

À l’égard des opérations militaires, il est bien difficile de les rendre intéressantes. Elles se ressemblent presque toutes ; le nombre en est infini ; la postérité en est surchargée. On a donné cent quarante batailles en Europe depuis l’an 1600. Elles sont toutes, au bout de quelques années, éclipsées les unes par les autres. Il n’en reste qu’un faible souvenir, et, par une fatalité singulière, les Mémoires du vicomte de Turenne sont peu lus.

  1. Le Siècle de Louis XIV.