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dant bien à toutes le secret. Enfin je crois m’apercevoir que le roi a été à la fin dans la confidence. Je ne fais que m’en douter ; je ne peux m’éclaircir. Ce n’est pas là une situation bien agréable ; mais ce n’est pas tout.

Il arriva ici, sur la fin de l’année passée, un jeune homme nommé La Beaumelle, qui est, je crois, de Genève[1], et qui est renvoyé de Copenhague, où il était moitié prédicateur, moitié bel esprit. Il est auteur d’un livre intitulé Mes Pensées, livre où il dit librement son avis sur toutes les puissances de l’Europe. Maupertuis, avec sa bonté ordinaire, et sans y entendre malice, alla persuader à ce jeune homme que j’avais dit au roi du mal de son livre et de sa personne, et que je l’avais empêché d’entrer au service de Sa Majesté. Aussitôt ce La Beaumelle, pour réparer le tort prétendu que j’ai fait à sa fortune, a préparé des notes scandaleuses pour le Siècle de Louis XIV, qu’il va faire imprimer je ne sais où. Ceux qui ont vu ces belles notes disent qu’il y a autant de sottises que de mots.

Quant à la querelle de Maupertuis et de Kœnig, en voici le sujet :

Ce Kœnig est amoureux d’un problème de géométrie, comme les anciens paladins de leurs dames. Il fit, l’année passée, le voyage de la Haye à Berlin, uniquement pour aller conférer avec Maupertuis sur une formule d’algèbre, et sur une loi de la nature dont vous ne vous souciez guère. Il lui montra deux lettres d’un vieux philosophe du siècle passé, nommé Leibnitz, dont vous ne vous souciez pas davantage, et lui fit voir que Leibnitz avait parlé de la même loi, et combattait son sentiment. Maupertuis, qui est plus occupé de ce qu’il croit intrigues de cour que de vérités géométriques, ne lut pas seulement les lettres de Leibnitz.

Le professeur de la Haye lui demanda la permission d’exposer son opinion dans les journaux de Leipsick ; et, avec cette permission, il réfuta, le plus poliment du monde, dans ces journaux, l’opinion de Maupertuis, et s’appuya de l’autorité de Leibnitz, dont il fit imprimer les fragments qui avaient rapport à cette dispute. Voici ce qui est étrange :

Maupertuis, ayant parcouru et mal lu ce journal de Leipsick et ces fragments de Leibnitz, alla se mettre dans la tête que Leibnitz était de son opinion, et que Kœnig avait forgé ces lettres

  1. Il était né à Valleraugue, dans le bas Languedoc, le 28 janvier 1727 ; mais il était allé fort jeune à Genève (voyez tome XX, page 332). Il est mort le 17 novembre 1773.