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rien. Mes anges, si Amélie réussissait après le petit succès de Rome sauvée, moi présent, les gens de lettres me lapideraient, ou bien ils me donneraient à brûler aux dévots, et allumeraient le bûcher avec les sifflets qu’ils n’auraient pu employer. Il faut vivre à Paris, riche et obscur, avec des amis ; mais être à Paris en butte au public, j’aimerais mieux être une lanterne des rues exposée au vent et à la grêle.

Pardon, mes anges ; mais quelquefois je songe à tout ce que j’ai essuyé et je conclus que, si j’avais un fils qui dût éprouver les mêmes traverses, je lui tordrais le cou par tendresse paternelle. Je vous ai parlé encore plus à cœur ouvert dans ma dernière lettre, mon cher et respectable ami. Je ne vous ai jamais donné une plus grande preuve d’une confiance sans bornes ; je mérite que vous en ayez en moi. Je serais bien affligé si la Coquette recevait un affront. Je me consolerais plus aisément de la disgrâce d’Amélie et du Duc de Foix. Il y a d’autres événements sur lesquels il faudrait prendre son parti. Voulez-vous voir toute ma situation et tous mes sentiments ? J’aime passionnément mes amis, je crains Paris, et le repos est nécessaire à ma santé et à mon âge. Je voudrais vous embrasser, et je suis retenu par mille chaînes jusqu’au mois d’octobre.

On m’assure positivement que le Siècle sera fini dans ce temps-là, et que je pourrai faire un petit voyage pour vous aller trouver ; cette idée me console. La vie est bien courte ; tout est ou vanité ou peine ; l’amitié seule remplit le cœur. Mon cher ange, conservez-moi cette amitié précieuse qui fait le charme de la vie. Quelque chose qu’on puisse penser de moi à la cour et à la ville, que les uns me blâment, que les autres regrettent leur victime échappée, que les gredins m’envient, que les fanatiques m’excommunient, aimez-moi, et je suis heureux. Je vous embrasse tendrement.


2397. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE[1].
(Juillet 1752.)

Sire, vous contâtes hier l’histoire de Gustave Vasa avec une éloquence si animée que vous nous enchantâtes tous. J’espère que quand Votre Majesté aura pris le fort Balbi[2] et donné

  1. Der Freymüthige ; Berlin, 1803, page 6.
  2. Fort construit à Potsdam, au mois de juillet 1752. par Jean de Balbi, lieutenant-colonel du génie, pour l’instruction des officiers de l’armée prussienne.