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bien senti la dureté et la hauteur avec laquelle vous parliez. Je vous jure que je n’en ai pas été blessé ; mais je vous conjure d’être plus juste, plus indulgent avec un homme qui vous aime, qui ne peut jamais avoir envie de vous déplaire, et dont vous faites la consolation. Au nom de l’amitié, soyez moins épineux dans la société : c’est la douceur des mœurs, la facilité qui en fait le charme. N’attristez plus votre frère ; la vie a tant d’amertume qu’il ne faut pas que ceux qui peuvent l’adoucir y versent du poison. L’humeur est de tous les poisons le plus amer. Les fripons sont emmiellés. Faut-il que les honnêtes gens soient difficiles ?

Pardonnez mes plaintes ; elles partent d’un cœur tendre qui est à vous.


2396. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Potsdam, le 22 juillet.

Mon cher ange, on m’a mandé que vos volontés célestes étaient que l’on représentât incessamment cette Amélie que vous aimez, et qu’on m’exposât encore aux bêtes dans le cirque de Paris ; votre volonté soit faite au parterre comme au ciel ! J’ai envoyé sur-le-champ à M. de Thibouville, l’un des juges de votre comité, à qui Mme  Denis a remis la pièce, quelques petits vers à coudre au reste de l’étoffe. Il ne faut pas en demander beaucoup à un homme tout absorbé dans la prose de Louis XIV, et entouré d’éditions comme vos grands chambriers le sont de sacs. Je ne sais pas encore quel parti prend ma nièce sur sa Coquette : apparemment qu’elle veut attendre. Vous ne doutez pas que je n’eusse la politesse de lui céder le pas. J’attends demain de ses nouvelles. Je tremble toujours pour elle et pour moi. Un oncle et une nièce qui donnent à la fois des pièces de théâtre donnent l’idée d’une étrange famille. Dancourt n’a-t-il pas fait la Famille extravagante[1] ? On la donnera probablement pour petite pièce.

Heureusement vos prêtres sont plus fous[2] que nous, et leur folie n’est pas si agréable ; mais vos gredins du Parnasse sont de grands malheureux. On ôte à Fréron le droit qu’il s’était arrogé de vendre les poisons de la boutique de l’abbé Desfontaines ; je demande sa grâce à M. de Malesherbes ; et le scélérat, pour récompense, fait contre moi des vers scandaleux qui ne valent

  1. La Famille extravagante est de Legrand.
  2. Voyez tome XV, pages 376 et suiv. ; XVI, 77 et suiv.