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nant point l’alarme, et en ne prétendant point donner cet ouvrage comme une pièce nouvelle. Il y manque encore quelques vers que j’enverrai quand on voudra ; mais, pour l’extrait baptistaire de Lisois, et pour la généalogie d’Amélie, je crois qu’on peut très-bien s’en passer.

Mon cher ange, j’avoue qu’il ne sied guère à un historiographe de passer sous silence ces points d’histoire ; mais je m’imagine que ces détails ne serviraient de rien à la tragédie. Je ne les aurais pu placer que dans des tirades qui sont déjà un peu longues, et j’ai cru qu’ils refroidiraient l’action, sans y porter une plus grande clarté. Amélie est une dame du voisinage, Lisois un paladin, le duc de Foix de la race de Clovis, le tout est un roman. Il ne s’agit que d’exprimer des sentiments vrais sous des noms feints. C’est une pièce de caractères ; c’est Orgon, c’est Damis, c’est Isabelle. Plus on entrerait dans des détails historiques, plus on contredirait l’histoire.

Mon cher et respectable ami, je suis plus inquiet de l’entreprise de ma nièce que de notre Amélie. Je suis un vieux gladiateur accoutumé à être condamné aux bêtes dans l’arène ; mais je tremble de voir une femme qui veut tâter de ce combat. Peut-être le public est-il las des Amazones et des Cénie ; peut-être ne sera-t-il pas toujours poli avec les dames. Ma nièce ne se trouve pas dans des circonstances aussi favorables que Mmes  du Boccage et Graffigny. Elle a contre elle des cabales, et, de plus, elle est ma nièce. Tout cela me fait trembler, et je vous avoue que pour rien au monde je ne voudrais me trouver là.

La pièce peut réussir ; il y a d’heureux détails, et, si je ne m’aveugle pas, ces seuls détails valent mieux que Cénie et les Amazones ; mais ils ne suffisent pas. Vous m’avez parlé à cœur ouvert, je vous parle de même. J’ai mandé[1] à Mme  Denis que j’étais peu au fait du goût qui règne à présent, qu’elle devait consulter ceux qui fréquentent assidûment les spectacles ; que c’était à eux de lui dire si la pièce était attachante ; si les caractères étaient bien décidés et bien soutenus ; si la Coquette était assez coquette, si elle faisait un rôle principal dans les derniers actes ; si Géronte, Cléon, Dorsan, étaient des personnages nécessaires ; si chacun avait un but déterminé ; si la suivante n’était pas un caractère équivoque ; s’il y avait dans l’ouvrage de cette force comique nécessaire dans une comédie, et de cette espèce d’intérêt nécessaire dans toute pièce dramatique ; si la froideur

  1. Cette lettre est perdue.