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instruites ont bien voulu me communiquer des lumières ; j’en profite tous les jours. Voilà pourquoi je n’ai point voulu que l’édition faite à Berlin, ni celles qu’on a faites sur-le-champ, en conformité, en Hollande et à Londres, entrassent dans Paris. Je suis dans la nécessité d’en faire une nouvelle que mon libraire de Leipsick a déjà commencée. Si M. le maréchal de Noailles n’a pas la bonté de faire un petit effort, cette édition sera encore imparfaite.

Je n’ose vous proposer, monseigneur, de vous enfermer une heure ou deux pour m’instruire des choses dont vous pourriez vous souvenir ; vous rendriez service à la patrie et à la vérité. Ce motif sera plus puissant que mes prières. Je ferais sur-le-champ usage de vos remarques. Ma nièce doit avoir à présent deux exemplaires chargés de corrections à la main : je voudrais que vous eussiez le temps et la bonté d’en examiner un. Votre lettre de trente-deux pages me fait voir de quoi vous êtes capable, et m’enhardit auprès de vous. Il me semble que ce serait employer dignement une heure de loisir où vous êtes. S’il y avait quelque guerre, je ne vous ferais pas de pareilles propositions ; je me flatte bien qu’alors vous n’auriez pas de loisir, et que vous commanderiez nos armées.

Dans ce siècle, que j’ai tâché de peindre, c’était un Français[1], dont vous fûtes l’élève, qui fit heureusement la guerre et la paix. Je suis très-persuadé qu’avec vous la France n’a pas besoin d’étrangers pour faire l’une et l’autre. Qui donc a, dans un plus haut degré que vous, le talent de décider à propos, et de faire des manœuvres hardies, talent qui a fait la gloire du prince Eugène, que vous avez tant connu ? qui ferait la guerre avec plus de vivacité, et la paix avec plus de hauteur ? quel officier, en France, a plus d’expérience que vous ? et l’esprit, s’il vous plaît, ne sert-il à rien ? Mais il n’y a guère d’apparence que vos talents soient sitôt mis en œuvre : l’Europe est trop armée pour faire la guerre. S’il arrive pourtant que le diable brouille les cartes, et que le bon génie de la France conduise nos affaires par vous, il n’y a pas d’apparence que je sois alors votre historien. Je suis dans un état à ne devoir pas compter sur la vie. Vous serez peut-être surpris que, dans cet état, je fasse des Siècle, et des Histoire de la guerre de 1741, et des Rome sauvée, et autres bagatelles, et même, par-ci par-là, quelques chants de la Pucelle ; mais c’est

  1. Le maréchal de Villars, dont Richelieu avait été un des aides de camp, à Denain, le 24 juillet 1712.