Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/444

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous lui avons obligation des lettres du cardinal de Fleury ; elles sont curieuses. On y voit le désespoir sincère de notre premier ministre de ce qu’il n’est plus dans sa petite ville de Fréjus. Il a presque répandu des larmes quand il a été nommé précepteur du roi ; il n’a accepté ce poste que malgré lui ; il s’en plaint amèrement : c’est un beau monument de sincérité. Je ne suis pas éloigné de croire que, quand le cardinal Querini l’a rendu public, il était dans la bonne foi.

Ce bon cardinal aime les louanges à la folie ; il ressemble en cela à Cicéron. Le libraire de sa ville de Brescia a mis à la tête de son dernier recueil qu’il faut avouer que monseigneur est une étoile de la première grandeur.

Cette étoile persécutait mon feu follet pour avoir une ode en son honneur et en celui d’une église catholique qu’on bâtit d’aumônes à Berlin, sans qu’il en coûte un sou à Sa Majesté. Le cardinal a donné à cette église, qui ne s’achève point, de l’argent et des statues. Le comte de Rottembourg était à la tête de cette bonne œuvre, et n’y a pas contribué d’un denier, de son vivant, ni par son testament. Un banquier calviniste a avancé environ douze mille écus, et veut qu’on vende l’église pour le rembourser. Le cardinal, pour son payement, exigeait des odes. Il m’arracha enfin cette plaisanterie au lieu d’ode, au commencement de cette année. Cela a été jusqu’à notre saint-père le pape[1]. Sa Sainteté est un peu gausseuse ; elle a dit : « Le cardinal Querini quête des louanges ; il a attrapé celles qu’il lui faut. »

Avez-vous lu le sixième tome des Mémoires de l’abbè Montgon ? Six tomes de l’histoire d’un abbé ! et nous n’avons qu’un volume de l’Histoire d’Alexandre ! Comme les livres se multiplient ! Il y a pourtant deux ou trois anecdotes bien curieuses dans ces Mémoires.

Adieu, ma chère plénipotentiaire ; je vous parlerai de nous deux à la première occasion.


2385. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
À Potsdam, le 10 juin.

Mon héros, vos bontés m’ont fait éprouver une espèce de plaisir que je n’avais pas goûté depuis longtemps. En lisant votre belle lettre de trente-deux pages[2], j’ai cru vous entendre, j’ai cru vous voir ; je me suis imaginé être à votre chocolat, au milieu

  1. Benoit XIV, à qui Mahomet était dédié.
  2. Voltaire avait demandé deux pages ; voyez le deuxième alinéa de la lettre 2346.