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de détails ; j’ai voulu seulement montrer comme on a ou suivi ou changé les vues de Louis XIV, perfectionné ce qu’il avait établi, ou réparé les malheurs qu’il avait essuyés sur la fin de sa vie ; et, comme j’ai commencé son siècle par un portrait de l’Europe, je le finis de même.

Aucun contemporain vivant n’est nommé, excepté vous et M. le maréchal de Belle-Isle, mais sans aucune affectation. Encore une fois, je peux me tromper ; mais je me flatte que, si le roi avait le temps de lire cet ouvrage, il n’en serait pas mécontent. Je crois surtout que Mme  de Pompadour pourrait ne pas désapprouver la manière dont je parle de Mlle  de La Vallière, de Montespan, et de Maintenon, dont tant d’historiens ont parlé avec une grossièreté révoltante et avec des préjugés outrageants.

Enfin, malgré tous mes soins et malgré celui de plaire, la nature de l’ouvrage est telle que, malgré mon zèle pour ma patrie, j’ai cru devoir imprimer cette histoire en pays étranger. Un historiographe de France ne vaudra jamais rien en France.

J’ajouterai encore que peut-être les éloges que je donne à ma patrie acquerront plus de poids lorsque je serai loin d’elle, et que ce qui passerait pour adulation, s’il était d’abord imprimé à Paris, passera seulement pour vérité quand il sera dit ailleurs.

S’il arrivait, après tous les ménagements et toutes les précautions possibles, que je parusse trop libre en France, jugez alors si ma retraite en Prusse n’aura pas été très-heureuse ; mais je me flatte de ne point déplaire, surtout après avoir sondé les esprits et préparé l’opinion publique par le commencement de cet Essai sur Louis XIV, et par les anecdotes[1] où je dis des choses très-fortes, et où je n’ai nullement ménagé la conduite inexcusable du parlement dans la régence d’Anne d’Autriche.

Je vais actuellement répondre à la question que vous me faites, pourquoi je suis en Prusse ; et je répondrai avec la même vérité que j’écris l’histoire, dussent tous les commis de toutes les postes ouvrir ma lettre.

J’étais parti pour aller faire ma cour au roi de Prusse, comptant ensuite voir l’Italie, et revenir après avoir fait imprimer le Siècle de Louis XIV en Hollande. J’arrive à Potsdam ; les grands yeux bleus du roi, et son doux sourire, et sa voix de sirène, ses cinq batailles, son goût extrême pour la retraite et pour l’occu-

  1. Voltaire avait publié, en 1739, un Essai sur le Siècle de Louis XIV, et, en 1748, des Anecdotes sur Louis XIV.