Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome37.djvu/32

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
1977. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Le 10 juin.

Jamais on n’a fait d’aussi jolis vers pour des pilules[1] ; ce n’est point parce que j’y suis loué ; je connais en cela l’usage des rois et des poëtes ; mais, en faisant abstraction de ce qui me regarde, je trouve ces vers charmants. Si des purgatifs produisent d’aussi bons vers, je pourrais bien prendre une prise de séné pour voir ce qu’elle opérera sur moi.

Ce que vous avez cru être une épigramme se trouve être une ode[2] ; je vous l’envoie avec une épigramme contre les médecins[3]. J’ai lieu d’être un peu de mauvaise humeur contre leurs procédés ; j’ai la goutte, et ils ont pensé me tuer, à force de sudorifiques.

Écoutez : j’ai la folie de vous voir ; ce sera une trahison si vous ne voulez pas vous prêter à me faire passer cette fantaisie. Je veux étudier avec vous ; j’ai du loisir cette année, Dieu sait si j’en aurai une autre. Mais, pour que vous ne vous imaginiez pas que vous allez en Laponie, je vous enverrai une douzaine de certificats[4] par lesquels vous apprendrez que ce climat n’est pas tout à fait sans aménité.

On fait aller son corps comme l’on veut. Lorsque l’âme dit : Marche, il obéit. Voilà un de vos propres apophthegmes dont je veux bien vous faire ressouvenir.

Mme du Châtelet accouche dans le mois de septembre ; vous n’êtes pas une sage-femme : ainsi elle fera fort bien ses couches sans vous, et, s’il le faut, vous pourrez alors être de retour à Paris. Croyez d’ailleurs que les plaisirs que l’on fait aux gens sans se faire tirer l’oreille sont de meilleure grâce et plus agréables que lorsqu’on se fait tant solliciter.

Si je vous gronde, c’est que c’est l’usage des goutteux. Vous ferez ce qu’il vous plaira ; mais je n’en serai pas la dupe, et je verrai bien si vous m’aimez sérieusement, ou si tout ce que vous me dites n’est qu’un verbiage de tragédie.

Fédéric.


1978. — À M. DIDEROT[5].
Juin.

Je vous remercie, monsieur, du livre[6] ingénieux et profond que vous avez eu la bonté de m’envoyer ; je vous en présente

  1. Voyez la lettre 1972.
  2. Ode sur les troubles du Nord (dans les Œuvres de Frédéric).
  3. Stances contre un médecin qui pensa tuer un pauvre goutteux à force de le faire suer.
  4. Voyez une note de la lettre 1983.
  5. Denis Diderot, fils d’un coutelier de Langres, où il naquit en 1713. On ne sait précisément à quelle époque il se lia avec Voltaire, et ce ne fut peut-être guère avant 1749.
  6. Lettre sur les aveugles, à l’usage de ceux qui voient, 1749, in-12. Cet ouvrage fit mettre son auteur au donjon de Vincennes, le 24 juillet suivant.