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qui vient d’arriver au nommé Baculard : il sera chassé, si mieux n’est ; et peut-être, tout Prussien que je suis, je trouverai au moins le secret de faire taire ce dogue.

Voilà, mon cher ami, ce que sont ces hommes qui prétendent à la littérature ; voilà de nos monstres Ô ! inhumaniores litteræ ! Je gémis sur les belles-lettres, si elles sont ainsi infectées ; et je gémis sur ma patrie, si elle souffre les serpents que les cendres des Desfontaines ont produits. Mais, après tout, en plaignant les méchants et ceux qui les tolèrent ; en plaignant jusqu’à d’Arnaud même, tombé par l’opprobre dans la misère, je ne laisse pas de jouir d’un repos assez doux, de la faveur et de la société d’un des plus grands rois qui aient jamais été, d’un philosophe sur le trône, d’un héros qui méprise jusqu’à l’héroïsme, et qui vit dans Potsdam comme Platon vivait avec ses amis. Les dignités, les honneurs, les bienfaits, dont il me comble, sont de trop. Sa conversation est le plus grand de ses bienfaits. Jamais on ne vit tant de grandeur et si peu de morgue ; jamais la raison la plus pure et la plus ferme ne fut ornée de tant de grâces. L’étude constante des belles-lettres, que tant de misérables déshonorent, fait son occupation et sa gloire. Quand il a gouverné, le matin, et gouverné seul, il est philosophe le reste du jour, et ses soupers sont ce qu’on croit que sont les soupers de Paris : ils sont toujours délicieux ; mais on y parle toujours raison ; on y pense hardiment ; on y est libre. Il a prodigieusement d’esprit, et il en donne. Ma foi, d’Arnaud avait raison de vouloir souper avec lui ; mais il fallait en être un peu plus digne.

Adieu ; quand vous souperez avec M. de La Popelinière, songez aux soupers de Frédéric le Grand ; félicitez-moi de vivre de son temps, et pardonnez à l’envie si mon bonheur extrême et inouï lui fait grincer les dents.


2154. — À MADAME LA COMTESSE D’ARGENTAL.
À Potsdam, le 8 décembre.

Recevez, madame, mes hommages, mes regrets, mes souhaits, des gouttes d’Hoffman, et des pilules de Stahl, par M. d’Hamon, mon camarade en chambellanie, et mon très-supérieur en négociations. Il est envoyé du roi de Prusse ; il vient resserrer les liens des deux nations. Il aura bien de la peine à les rendre aussi forts et aussi durables que ceux qui m’attachent à vous. Que n’ai-je pu l’accompagner ! mais sa jeunesse et sa