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coche, tout seul de sa bande, et se donna pour un seigneur qui avait perdu sur les chemins ses titres de noblesse, ses poésies, et les portraits de ses maîtresses ; le tout enfermé dans un bonnet de nuit.

Il fut un peu fâché de n’avoir que quatre mille huit cents livres d’appointements, de ne point souper avec le roi, de ne point coucher avec les filles d’honneur ; et enfin, quand il me vit arrivé, il fut désespéré, quoique en vérité je n’aie pas plus les bonnes grâces des filles d’honneur que lui ; mais le roi me traite avec des bontés distinguées ; mais Rome sauvée a été très-bien reçue, et son Mauvais Riche assez mal. Il a fait de mauvais vers pour des filles ; et comme les gazetiers, qui ont du goût, les avaient imprimés comme de beaux vers de ma façon, adressés à la princesse Amélie, quel parti a pris mon Baculard d’Arnaud ? Mon Baculard a voulu aussi désavouer une mauvaise Préface[1] qu’il avait voulu mettre au-devant d’une mauvaise édition qu’on a faite à Rouen de mes ouvrages. Il ne savait pas que j’avais expressément défendu qu’on fît usage de cette rapsodie, dont, par parenthèse, j’ai l’original écrit et signé de sa main. Il s’adresse donc à mon cher ami Fréron, il lui mande que je l’ai perdu à la cour ; que j’ai mis en usage une politique profonde pour le perdre dans l’esprit du roi ; que j’ai ajouté à sa Préface des choses horribles contre la France, et que, en un mot, il prie l’illustre Fréron d’annoncer au public, qui a les yeux sur Baculard, qu’il se lave les mains de cet ouvrage. Les regrattiers de nouvelles littéraires, qui écrivent ici les sottises de Paris, mandent ce beau désaveu. Par hasard le roi avait vu une ancienne épreuve de cette belle Préface. Il l’a relue, et il a vu qu’il n’y avait pas un seul mot contre la France ; que, par conséquent, Baculard est un peu menteur. Il a été un peu courroucé de ce procédé, et il avait quelque envie de renvoyer ce beau fils comme il était venu. J’ai cru qu’il était des règles du théâtre de parler en sa faveur, et des règles de la prudence de ne faire aucun éclat, Baculard d’Arnaud ne sait pas que son petit crime est découvert ; je le mets à son aise, je ne lui parle de rien. Cependant le roi veut être instruit ; il veut savoir s’il est vrai que d’Arnaud ait écrit à Fréron que je l’avais desservi dans l’esprit de Sa Majesté, etc. Il est bien aise d’être au fait. On m’a mandé cependant que cette affaire

  1. Cette Préface a été réimprimée dans le tome II des Mémoires sur Voltaire, par Longchamp et Wagnière. Elle avait été imprimée, en 1750, à la tête d’une édition des Œuvres de Voltaire, et était intitulée Dissertation historique sur les ouvrages de M. de Voltaire, par M. d’Arnaud, de l’Académie de Berlin.