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défendent. Mais au moins Mme  de Pompadour et les ministres devraient m’en savoir quelque gré.

Voici enfin, si vous n’êtes pas lassé de mes remontrances, voici, je crois, le point où tout se termine.

Ne pourriez-vous pas avoir la bonté de représenter à Mme  de Pompadour que j’ai précisément les mêmes ennemis qu’elle ? Si elle est piquée de ma désertion, si elle ne me regarde que comme un transfuge, il faut rester où je suis bien ; mais, si elle croit que je puisse être compté parmi ceux qui, dans la littérature, peuvent être de quelque utilité ; si elle souhaite que je revienne, ne pourriez-vous pas lui dire que vous connaissez mon attachement pour elle ; qu’elle seule pourrait me faire quitter le roi de Prusse ; que je n’ai quitté la France que parce que j’y ai été persécuté par ceux qui la haïssent ? Il me semble que de telles insinuations, employées à propos, et avec cet ascendant que votre esprit doit avoir sur le sien, ne seraient pas sans effet ; et si elle ne les goûtait pas, ce serait m’avertir que je dois me tenir auprès du roi de Prusse.

Ce ne sont pas des conditions que je propose, ce sont seulement des essais que je vous supplierais de faire sans vous compromettre, et sans préjudice du voyage que je prétends faire. Je ne suis point un exilé qui demande son rappel, je ne suis point un homme nécessaire qui veut se faire acheter ; je suis votre ancien serviteur, votre attaché, qui désire passionnément de vivre auprès de vous d’une manière convenable et également honorable, pour vous, qui me protégez, et pour moi, qui quitterais une cour où je n’ai besoin de personne, et où je n’ai rien à craindre ni des prêtres ni des ministres. Je ne suis point ici dans l’antichambre d’un secrétaire d’État, mais dans la chambre de son maître.

Je renoncerai à tout, monseigneur, quand il le faudra. Je vous aime, j’aime ma patrie, j’aime les lettres plus que jamais, et je vais vous parler encore de Rome sauvée, malgré mes serments.

J’ai fait à cette Borne tout ce que j’ai pu ; je vous demande en grâce de la protéger, de la faire jouer. Vous avez été le parrain de cet enfant-là, ne l’abandonnez pas. Elle réussira, si elle est bien jouée, autant qu’un ouvrage un peu austère peut réussir chez des Français. Il est bon que vous fassiez voir à Mme  de Pompadour qu’il y a du moins quelque différence entre un ouvrage bien conduit et bien écrit, et la farce allobroge qu’elle a protégée.