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c’est le meilleur de tous les hommes, ou bien je suis le plus sot. La philosophie a encore perfectionné son caractère. Il s’est corrigé, comme il corrige ses ouvrages. Voilà précisément, mes anges, pourquoi j’ai le cœur déchiré ; voilà pourquoi je ne vous reverrai qu’au mois de mars. Comptez qu’ensuite, quand je reviendrai en France, je n’y reviendrai que pour vous seuls, pour vous, mes anges, qui faites toute ma patrie. Je vous demande en grâce d’encourager Mme  Denis à venir avec moi s’établir au mois de mars, à Berlin, dans une bonne maison où elle vivra dans la plus grande opulence. Le roi de Prusse lui assure, à Paris, une pension après ma mort. Il m’a promis que les reines (qui ne savent encore rien de nos petits desseins) l’honoreront des distinctions et des bontés les plus flatteuses. Elle fera ma consolation dans ma vieillesse. Disposez-la à cette bonne œuvre. Il n’y a plus à reculer ; le roi de Prusse m’a fait demander au roi, et je ne suis pas un objet assez important pour qu’on veuille me garder en France. Je servirai le roi dans la personne du roi de Prusse, son allié et son ami. Ce sera une chose honorable pour notre patrie qu’on soit obligé de nous appeler quand on veut faire fleurir les arts. Enfin je ne crois pas qu’on refuse le roi de Prusse, et si, par un hasard que je ne prévois pas, on le refusait, vous sentez bien que, la première démarche étant faite, il la faudrait soutenir, et obtenir, par des sollicitations pressantes, ce qu’on n’aurait pas accordé d’abord à ses prières, et que je ne peux plus vivre en France, après avoir voulu la quitter. Il y a un mois que je suis à la torture, j’en ai été malade ; un tel parti coûte sans doute. Vous êtes bien sûr que c’est vous qui déchirez mon âme ; mais, encore une fois, quand je vous parlerai, vous m’approuverez. Ne me condamnez point avant de m’entendre, conservez-moi des bontés qui me sont aussi précieuses pour le moins que celles du roi de Prusse. J’ai les yeux mouillés de larmes en vous écrivant. Adieu.


2114. — À MADAME DENIS.
À Berlin, le 22 août.

Je reçois votre lettre du 8, en sortant Phaéton ; c’est un peu Phaéton travesti[1]. Le roi a un poëte italien, nommé Villati, à quatre cents écus de gages. Il lui donne des vers pour son argent, qui ne coûtent pas grand’chose ni au poëte, ni au roi. Cet

  1. Le véritable Phaéton est un opéra de Quinault et de Lulli.