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2088. — DE BACULARD D’ARNAUD[1].
Ce 31 mai 1750.

J’ai reçu votre lettre, mon cher Apollon, comme le roi partait pour la Prusse ; je n’ai donc point eu le plaisir de la lui montrer. Tout ce que je puis vous dire, c’est qu’on vous attend ici avec une grande impatience. Le roi se fait fête de vous voir. J’apprends que Cléopâtre[2] vient d’être sifflée. Il est arrivé ce que j’avais prévu : cet homme n’a point la chaleur de l’âme et un tact qu’il faut avoir absolument lorsque l’on veut se mêler de donner des tragédies ; c’est la porte par laquelle vous avez rendu vos ouvrages dignes de l’immortalité. Je vous attends ici comme un enfant attend son père, en m’occupant. Je vous ai dédié une édition de quelques-uns de mes faibles ouvrages, il y a une épître dédicatoire au roi, et j’y ai ajouté ces vers, que le roi a approuvés :


À monsieur de Voltaire.

Mon maître, mon ami, mon père dans les arts,
De l’un de tes enfants que ta muse encourage,
Peut-être de celui qui t’aime davantage.
Quoiqu’il mérite moins tes sublimes regards,
Ô Voltaire, accepte l’hommage.
Au milieu des poisons, des sifflements mortels,
Qu’autour de tes lauriers, aux pieds de tes autels,
Poussent, en s’élançant, les serpents de l’Envie ;
Que le cri de mon cœur et de la vérité
Se fasse entendre à la terre ravie
De voir voler ton nom à l’immortalité.
Cette esclave des cours, la basse Flatterie,
Qui n’accorde qu’au rang son suffrage et sa voix,
Avec étonnement verra ma main hardie
Prodiguer au rare génie
Le même encens qui brûle pour les rois.
Mais l’équité, mais Frédéric lui-même
Qui daigne de son diadème
Couvrir les arts près de son trône admis,
Par une faveur aussi juste
Ordonne qu’à côté du nom sacré d’Auguste
Le nom de Virgile soit mis.

Voilà, mon cher maître, l’hommage de mon cœur ; vous partagez mon admiration avec un grand roi et un vainqueur. J’écris ce que je pense, toute notre Académie attend sa divinité.


Tout votre vin ne saurait nous déplaire,
C’est un bourgogne velouté

  1. Mémoires de Wagnière et de Longchamp, tome II page. 512.
  2. Tragédie de Marmontel, représentée à Paris le 20 mai 1750.