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d’un âge mûr, très-sage, très-instruit, d’une probité reconnue, et qui est bien venu partout. Personne, dans Paris, n’est plus au fait que lui de la littérature, depuis les in-folio des bénédictins jusqu’aux brochures du comte de Caylus ; il est capable de rendre un compte très-exact de tout, et vous trouverez souvent ses extraits beaucoup meilleurs que les livres dont il parlera. Ce n’est pas, d’ailleurs, un homme à vous faire croire que les livres sont plus chers qu’ils ne le sont en effet ; il les met à leur juste prix pour l’argent comme pour le mérite. Je peux vous assurer, monsieur, qu’il est de toutes façons digne d’une telle correspondance. Soyez persuadé qu’il était de l’honneur de ceux qui approchent votre respectable maître, de ne pas être en liaison avec un homme aussi publiquement déshonoré que Fréron. Ses friponneries sont connues, ainsi que le châtiment qu’il en a reçu ; et il n’y a pas encore longtemps que la police l’a obligé de reprendre une balle de livres qu’il avait envoyée en Allemagne, et qu’il avait vendue trois fois au-dessus de sa valeur. Vous sentez quel scandale c’eût été de voir un tel homme honoré d’un emploi qui ne convient qu’à un homme qui ait de la sagesse et de la probité. J’ai osé mander à Sa Majesté ce que j’en pensais. J’ai ajouté même que Fréron était mon ennemi déclaré ; et je n’ai pas craint que Sa Majesté pensât que mes mécontentements particuliers m’aveuglassent sur cet écrivain. Fréron n’a été mon ennemi que parce que je lui ai refusé tout accès dans ma maison, et je ne lui ai fait fermer ma porte que par les raisons qui doivent l’exclure de votre correspondance. Quant à l’abbé Raynal, je vous supplie, monsieur, de vouloir bien l’excuser si, pour cette première fois, il a manqué à quelque chose, ou s’il a rempli ses feuilles d’anecdotes littéraires déjà connues. Vous voyez par la rapidité de son style, et par sa facilité, qu’il sera en état de se plier à toutes les formes qui lui seront prescrites. « Je vous donne ma parole d’honneur que je ne peux faire à Sa Majesté un meilleur présent. Non-seulement, monsieur, je vous prie de le protéger, mais je vous demande en grâce de ne mander à personne que c’est moi qui vous le présente. C’est une chose que j’ose attendre de votre ancienne amitié pour moi. Vous sentez combien de gens de lettres désirent un tel emploi. Le nom de Frédéric est devenu un terrible nom ; et quand il n’y aurait que de l’honneur à lui faire tenir des nouvelles et des livres, on se disputerait cet emploi comme on se dispute ici un bénéfice ou une place de sous-fermier. Ne me commettez donc, je vous en conjure, avec personne, et laissez-moi vous servir paisiblement.