la fièvre et la migraine. Si le grand Pascal en a été attaqué, c’est Samson qui perd sa force. Je ne sais de quelle maladie était affligé le docteur qui argumente si amèrement contre moi ; mais il prend le change en tout, et principalement sur l’état de la question.
Le fond de mes petites Remarques sur les Pensées de Pascal, c’est qu’il faut croire sans doute au péché originel, puisque la foi l’ordonne, et qu’il faut y croire d’autant plus que la raison est absolument impuissante à nous montrer que la nature humaine est déchue. La révélation seule peut nous l’apprendre. Platon s’y était jadis cassé le nez. Comment pouvait-il savoir que les hommes avaient été autrefois plus beaux, plus grands, plus forts, plus heureux ? qu’ils avaient eu de belles ailes, et qu’ils avaient fait des enfants sans femmes ?
Tous ceux qui se sont servis de la physique pour prouver la décadence de ce petit globe de notre monde n’ont pas eu meilleure fortune que Platon. Voyez-vous ces vilaines montagnes, disaient-ils, ces mers qui entrent dans les terres, ces lacs sans issue ? ce sont des débris d’un globe maudit ; mais quand on y a regardé de plus près, on a vu que ces montagnes étaient nécessaires pour nous donner des rivières et des mines, et que ce sont les perfections d’un monde béni. De même mon censeur assure que notre vie est fort raccourcie, en comparaison de celle des corbeaux et des cerfs. Il a entendu dire à sa nourrice que les cerfs vivent trois cents ans, et les corbeaux neuf cents. La nourrice d’Hésiode lui avait fait aussi apparemment le même conte ; mais mon docteur n’a qu’à interroger quelque chasseur, il saura que les cerfs ne vont jamais à vingt ans. Il a beau faire, l’homme est de tous les animaux celui à qui Dieu accorde la plus longue vie, et quand mon critique me montrera un corbeau qui aura cent deux ans, comme M. de Saint-Aulaire[1] et Mme de Chanclos, il me fera plaisir.
C’est une étrange rage que celle de quelques messieurs qui veulent absolument que nous soyons misérables. Je n’aime point un charlatan qui veut me faire accroire que je suis malade pour me vendre ses pilules. Garde ta drogue, mon ami, et laisse-moi ma santé. Mais pourquoi me dis-tu des injures parce que je me porte bien, et que je ne veux point de ton orviétan ?
- ↑ Quand Saint-Aulaire mourut le 17 décembre 1742, dans sa centième année, plusieurs personnes le croyaient âgé de cent deux ans. Voyez l’article Saint-Aulaire dans le Catalogue des écrivains du Siècle de Louis XIV, tome XIV, page 126.