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faculté d’oser parler de lui. Je me suis toujours tenu dans les bornes où Locke se renferme, n’assurant rien sur notre âme, mais croyant que Dieu peut tout. Si pourtant ce sentiment a des suites dangereuses, je l’abandonne à jamais de tout mon cœur.

Vous savez si le poëme de la Henriade, dont j’espère vous présenter bientôt une édition très-corrigée, respire autre chose que l’amour des lois et l’obéissance au souverain. Ce poëme enfin est la conversion d’un roi protestant à la religion catholique. Si dans quelques autres ouvrages qui sont échappés à ma jeunesse (ce temps de fautes) qui n’étaient pas faits pour être publics, que l’on a tronqués, que l’on a falsifiés, que je n’ai jamais approuvés, il se trouve des propositions dont on puisse se plaindre, ma réponse sera bien courte : c’est que je suis prêt d’effacer sans miséricorde tout ce qui peut scandaliser, quelque innocent qu’il soit dans le fond. Il ne m’en coûte point de me corriger. Je réforme encore ma Henriade ; je retouche toutes mes tragédies ; je refonds l’Histoire de Charles XII. Pourquoi, en prenant tant de peine pour corriger des mots, n’en prendrais-je pas pour corriger des choses essentielles, quand il suffit d’un trait de plume ?

Ce que je n’aurai jamais à corriger, ce sont les sentiments de mon cœur pour vous et pour ceux qui m’ont élevé ; les mêmes amis que j’avais dans votre collège, je les ai conservés tous. Ma espectueuse tendresse pour mes maîtres est la même. Adieu, mon révérend Père ; je suis pour toute ma vie, etc.


1003. — À FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
À Cirey, le 1er janvier 1739[1].

Jeune héros, esprit sublime,
Quels vœux pour vous puis-je former ?
Vous êtes bienfaisant, sage, humain, magnanime ;
Vous avez tous les dons, car vous savez aimer.
Puissent les souverains qui gouvernent les rênes
De ces puissants États gémissant sous leurs lois,
Dans le sentier du vrai vous suivre quelquefois,
Et, pour vous imiter, prendre au moins quelques peines !
Ce sont là tous mes vœux ; ce sont là les étrennes
Que je présente à tous les rois.

Comme j’allais continuer sur ce ton, monseigneur, la lettre de Votre Altesse royale et l’Épître au prince qui a le bonheur

  1. Réponse à la lettre du 22 novembre 1738.