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992. — DE JORE[1].
À Paris, ce 20 décembre 1738.

Monsieur, je vous supplie d’excuser le mauvais état de ma fortune, et la soustraction de tous mes papiers, qui m’a empêché jusqu’ici de reconnaître le mauvais procédé de ceux qui ont abusé de mon malheur pour me forcer à vous faire un procès injuste, et à laisser imprimer un factum odieux[2]. Je les désavoue tous deux entièrement. La malice de vos ennemis n’a servi qu’à me faire connaître la bonté de votre caractère. Vous avez la bonté de me pardonner d’avoir écouté de mauvais conseils. Je vous jure que je m’en suis repenti au moment même que j’ai eu le malheur d’agir contre vous. J’ai bien reconnu combien on m’avait trompé. Vous n’ignorez pas la jalousie des gens de lettres ; voilà à quoi elle s’est portée. On m’a aigri, on s’est servi de moi pour vous nuire ; j’en suis si fâché que je vous promets de ne jamais voir ceux qui m’ont forcé à vous manquer à ce point ; et je réparerai le tort extrême que j’ai eu, par l’attachement constant que je veux vous vouer toute ma vie.

Je vous prie, monsieur, de me rendre votre amitié, et de croire que mon cœur n’a jamais eu de part à la malice de vos ennemis, et que c’est mon cœur seul qui m’engage à vous le dire.

J’ai l’honneur d’être avec respect, monsieur, votre très-humble, etc.

Jore

993. — À M. DE FORMONT.
À Cirey, ce 20 décembre.

J’ai lu, monsieur, la belle épître que vous avez bien voulu m’envoyer, avec autant de plaisir que si elle ne m’humiliait pas. Mon amitié pour vous l’emporte sur mon amour-propre. Vous faites des vers alexandrins comme on en faisait il y a cinquante ans, et comme j’en voudrais faire. Il est vrai que vos derniers vers me font tristement sentir que je ne peux me flatter que la Henriade ait jamais une place à côté des bons ouvrages du siècle passé ; mais il faut bien que chacun soit à sa place. Je tâche au moins de rendre la mienne moins méprisable, en corrigeant chaque jour tous mes ouvrages. Je n’épargne aucune peine pour mériter un suffrage tel que le vôtre, et je viens encore d’ajouter

  1. On voit par la lettre de Voltaire à Cideville, du 30 mai 1736, que Jore avait précédemment adressé à Voltaire des lettres autres que celles que l’on donne ici.
  2. Mémoire pour Claude-François Jore, contre le sieur François-Marie de Voltaire, 1736, in-8o, réimprimé dans le Voltairiana : voyez ci-dessus n° 606.