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n’est pas riche, donne cinquante livres ; moi, qui suis bien moins bon philosophe qu’elle, et pas si riche, mais qui n’ai point de grande maison à gouverner, je prends la liberté de donner cent francs. Voilà donc cinquante écus qu’on vous apporte ; que quelqu’un de vous tienne la bourse, et je parie que vous faites mille écus en peu de jours. Cette petite collecte est digne d’être à la suite de vos observations ; et la morale des Français leur fera autant d’honneur, dans le Nord, que leur physique.

Le Nord est fécond en infortunes amoureuses, depuis l’aventure de Calisto. Si Jupiter avait eu mille écus, je suis persuadé que Calisto n’eût point été changée en ourse.

Pour encourager les âmes dévotes à réparer les torts de l’amour, je serais d’avis qu’on quêtât à peu près en cette façon :

La voyageuse Académie
Recommande à l’humanité,
Comme à la tendre charité,
Un gros tendron de Laponie.
L’amour, qui fait tout son malheur,
De ses feux embrasa son cœur
Parmi les glaces de Bothnie.
Certain Français la séduisit :
Cette erreur est trop ordinaire,
Et c’est la seule que l’on fit
En allant au cercle polaire.
Français, montrez-vous aujourd’hui
Aussi généreux qu’infidèles ;
S’il est doux de tromper les belles,
Il est doux d’être leur appui.
Que les Lapons, sur leur rivage,
Puissent dire dans tous les temps :
Tous les Français sont bienfaisants ;
Nous n’en avons vu qu’un volage.

Vous me direz que cela est trop long ; il n’y a qu’à l’exprimer en algèbre.

Adieu ; je n’ai point d’expression pour vous dire combien mon cœur et mon esprit sont les très-humbles serviteurs et admirateurs du vôtre.

Mme du Châtelet, seule digne de vous écrire, ne vous écrit point, je crois, cet ordinaire.

Voltaire.

N. B. Je vous supplie d’écrire toujours français par un a, car l’Académie française l’écrit par un o.