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ouvrage Je défie vos quarante fermiers généraux de le faire. Adieu je vous embrasse tendrement ; je vous aime comme on aime son fils. Mme du Châtelet vous fait les compliments les plus vrais ; elle vous écrira, elle vous remercie.

Allons qu’un ouvrage qui lui est adressé soit digne de vous et d’elle Vous m’avez fait trop d’honneur dans cet ouvrage, et cependant je vous rends la vie bien dure. Adieu ; je vous souhaite la bonne année. Aimez toujours les arts et Cirey.


975. — À M. LE COMTE DARGENTAL.
Cirey, ce 5 décembre.

Aimable ange gardien, vous resterez donc dans votre ciel de Paris ! Soyez donc là votre ange à vous-même. Angele, custodi te ipsum[1]. Travaillez à y être aussi heureux que vous méritez de l’être, et mettez le comble au bonheur de Cirey par le vôtre. Vous n’avez à changer que votre fortune. J’en dis autant à l’aimable compagne de votre vie ; je fais mille vœux pour vous deux. Je ne savais pas que vous demeurassiez avec M. d’Ussé. Voulez-vous bien présenter mes plus tendres respects aux philosophes, père et fils, et à Mme d’Ussé ? Je devais avoir l’honneur de leur écrire ; mais un cabinet de physique, des vers, et une mauvaise santé, me font manquer à tous mes devoirs.

Ne m’oubliez pas, je vous en supplie, auprès de votre frère.

J’avais peu d’argent quand Lamare est venu chez Mme du Châtelet, je n’ai pu lui donner que cent livres ; mais pour lettres de change je lui donne la comédie de l’Envieux[2], qu’il vous apporte corrigée, en vers de six pieds, et bien cachetée. Il la donnera sous son nom, et il partagera le profit avec un jeune homme plus sage que lui[3] et plus pauvre.

Recommandez-lui le plus profond secret ; je crois qu’il le gardera, et que l’envie de vous plaire lui donnera toutes les vertus. Je ne lui donne pas cette comédie comme bonne pièce, mais comme bonne œuvre.

  1. Deutéronome, iv, 9.
  2. Voyez tome III de cette édition.
  3. Dans sa lettre III, écrite de Cirey à Devaux, vers la fin de décembre 1738 (Vie privée de Voltaire), Mme de Graffigny disait, en parlant de l’abbé de Lamare. « Ce petit coquin, bien loin de profiter des bontés de Voltaire, est plus libertin que jamais. — En revenant de Rome il a passé par ici. — L’année passée il écrivit à Voltaire : Monsieur, sauf correction, j’ai la v…, et n’ai ni ami ni argent, me laisserez-vous tomber en pourriture ? » Voltaire lui donna de l’argent pour se faire guérir. (Cl.)