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naturel, de si bon, à prendre intérêt à l’ouvrage d’un autre, à l’examiner, à le corriger, qu’il mérite plus que jamais le nom de Pollion.

Vir bonus et prudens versus reprebendet inertes ;
Culpabit duros,
etc.

(Hor., de Art. poet., v. 445.)

Il est l’homme d’Horace, et je crois qu’il a le mérite de l’être sans le savoir : car, entre nous, je pense qu’il ne lit guère, et qu’il doit son goût à la manière dont il a plu à Dieu de le former. Je serai à mon tour difficile. Vous allez croire que c’est sur mes vers ; point, c’est sur ceux de Pollion ; qu’il lise et qu’il juge.

La modération est le trésor du sage[1]


me parait bien meilleur que l’attribut, 1° parce que le trésor est opposé à modèration, et parce que attribut est un terme prosaïque…, etc., etc. En faisant ces critiques, qui me paraissent justes, je suis effrayé de la difficulté de faire des vers français ; et je ne m’étonne plus que Despréaux employât deux ans à composer une épître.

Je m’en vais raboter plus que jamais, et être aussi inflexible pour moi que je le suis pour Pollion.

Votre grande critique que je ne parle pas toujours à Hermotime me paraît la plus mauvaise de toutes. Parler toujours à la même personne est d’un ennui de prône. On s’adresse d’abord à son homme, et ensuite à toute la nature ; ainsi en use Horace, mille fois plus décousu que moi. Mais nous n’aurons plus de querelle sur cela ; Hermotime est devenu Thieriot, et chaque épître est détachée.

Ah ! en voici d’une bonne ! vous trouvez mauvais ce vers :

Moins ce qu’on a pensé que ce qu’il faut savoir ;


et vous osez dire que c’est du galimatias pour un bon dialecticien ! Eh bien ! mon cher dialecticien, je vous dirai qu’un homme qui étudie la nature, qui fait des expériences, qui calcule, un Newton,

un Mariotto, un Huygens, un Badley, un Maupertuis, savent ce qu’il faut savoir, et que M. Legendre, marquis de Saint-Aubin, dans son Traité de l’Opinion, sait ce qu’on a pensé. Je vous dirai que savoir ce qu’ont mal pensé les autres, c’est très-mal savoir, et

  1. Ce vers et les deux qui sont cités dans la même lettre sont du quatrième Discours sur l’Homme.