Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/64

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Elle a lu et relu votre lettre avec une sorte de plaisir qu’elle goûte rarement. Elle avait déjà été bien contente d’une lance que vous avez rompue sur le nez de Crousaz[1], en faveur de Bayle. Elle voudrait bien voir un bâillon de votre façon mis dans la bouche bavarde de ce professeur dogmatique.

Continuez, monsieur, à faire voir que les personnes d’un certain ordre en France ne passent point leur vie à ramper chez un ministre, ou à traîner leur ennui de maison en maison. Empêchez la prescription de la barbarie, et faites honneur à la France.

Permettez-moi de présenter mes très-humbles compliments à un autre philosophe mondain[2] qu’on dit aujourd’hui beaucoup plus joufflu que vous. Il lit moins que vous Bayle et Cicéron ; mais il vit avec vous, et cela vaut bien de bonnes lectures. Mme du Châtelet sera aussi transportée que moi si vous lui faites part de vos idées. Elle en est bien plus digne, quoique je sente tout leur prix. Je suis, etc.


969. — À M. DE MAUPERTUIS.
Cirey, le 27 novembre.

J’ai trop tardé à vous remercier, mon grand philosophe ; serez-vous homme à consacrer un quart d’heure à nous faire savoir comment l’enchanteur Dufai[3] a coupé quatre membres à Newton ? Oter tout d’un coup quatre couleurs primitives aux gens ! cela est-il vrai ? On ne sait plus comment la miséricorde de Dieu est faite ; expliquez-nous le mystère.

Il y a quelque temps que la physique languit à Cirey. Si vous connaissiez quelque jeune indigent qui sût coller, brosser, tracasser de la main, avoir soin d’une machine, la monter, la démonter, envoyez-le-nous. Mme du Châtelet a toujours les mêmes sentiments pour sir Isaac Maupertuis ; et, quoique nous ayons perdu quatre couleurs, nous ne vous croyons pas obscurci. Vous savez avec quels sentiments je vous suis attaché pour la vie.


970. — À M. LE MARQUIS D’ARGENS[4].
À Bar-le-Duc, ou tout auprès, ce 27 novembre.

Dans votre vie cachée, un solitaire comme vous ne devrait pas oublier un autre solitaire qui l’a toujours aimé, et l’ermite

  1. Voltaire avait écrit Crouzas. Jean-Pierre de Crousaz, nr à Lausanne en 1663, est mort le 22 mai 1750. (B.)
  2. M. des Alleurs le jeune. (Cl.)
  3. Voyez sur Dufai une note du quatrième des Discours sur l’Homme.
  4. Éditeurs, de Cayrol et François.