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Vous me donnez très-poliment un conseil très-sage, c’est de paraître douter des choses que je veux persuader, et de présenter comme probable ce qui est démontré.

Cosi all egro fanciul porgiamo aspersi
Di soave licor gli orli dol vaso.

(Tasso, Ger. lib., c. I, str. 3.)

Je vous réponds bien que si j’avais fait quelque découverte, quand je la croirais inébranlable, je la donnerais sous les livrées modestes du doute. Il sied bien d’être un peu honteux quand on fait boire aux gens le vin du cru ; mais permettez-moi de m’excuser si j’ai un peu trop vanté Newton ; j’étais plein de ma divinité. Je ne suis pas sujet à l’enthousiasme, au moins en prose. Vous savez qu’en écrivant l’Histoire de Charles XII, je n’ai trouvé qu’un homme où les autres voyaient un héros ; mais Newton m’a paru d’une tout autre espèce. Tout ce qu’il a dit m’a semblé si vrai que je n’ai pas eu le courage de faire la petite bouche. D’ailleurs vous connaissez les Français ; parlez avec défiance de ce que vous leur donnez, ils vous prendront au mot.

Enfin les ménagements ne feront point passer la fausse monnaie pour la bonne, chez la postérité ; et si Newton a trouvé la vérité, elle et lui méritent qu’on les présente avec assurance à son siècle.

Je passe, monsieur, à un article de votre lettre qui n’est pas le moins essentiel ; c’est le goût épuré que vous y faites paraître. Vous voulez qu’on ne donne à la philosophie que les ornements qui lui sont propres, et qu’on n’affecte point de faire le plaisant ni l’homme de bonne compagnie, quand il ne s’agit que de méthode et de clarté.

Ornari res ipsa negat, contenta doceri[1].

À la bonne heure que M. de Fontenelle ait égayé ses Mondes : ce sujet riant pouvait admettre des fleurs et des pompons ; mais des vérités plus approfondies sont de ces beautés mâles auxquelles il faut les draperies du Poussin. Vous me paraissez un des meilleurs faiseurs de draperie que j’aie jamais vus. Mme du Châtelet est entièrement de votre avis. Elle a un esprit qui, comme le dit La Fontaine de Mme de La Sablière,

À beauté d’homme avec grâces de femme.

(liv. XII, fab. xv.)

  1. Ornari præcepta negant.
    (Dufresnoi, de Arte graphica, 29)