Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/58

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ticulière vénération ; savoir, non le feu qu’elle décompose avec tant de sagacité, mais celui de son puissant génie.

Serait-il permis à un sceptique de proposer quelques doutes qui lui sont venus ? Peut-on, dans un ouvrage de physique, où l’on recherche la vérité scrupuleusement, peut-on y faire entrer des restes de visions de l’antiquité ? J’appelle ainsi ce qui paraît être échappé à la marquise touchant l’embrasement excité dans les forêts par le mouvement des branches.

J’ignore le phénomène rapporté dans l’article des causes de la congélation de l’eau ; on rapporte qu’en Suisse il se trouvait des étangs qui gelaient pendant l’été, au mois de juin et de juillet. Mon ignorance peut causer mes doutes. J’y profiterai à coup sûr, car vos éclaircissements m’instruiront.

Après avoir parlé de vos ouvrages et de ceux de la marquise, il ne m’est guère permis de parler des miens. Je dois cependant accompagner cette lettre d’une pièce[1] qu’on a voulu que je fisse. Le plus grand plaisir que vous puissiez me faire, après celui de m’envoyer vos productions, est de corriger les miennes. J’ai eu le bonheur de me rencontrer avec vous, comme vous pourrez le voir sur la fin de l’ouvrage. Lorsqu’on a peu de génie, qu’on n’est point secondé d’un censeur éclairé, et qu’on écrit en langue étrangère, on ne peut guère se promettre de faire des progrès. Rimer, malgré ces obstacles, c’est, ce me semble, être atteint en quelque manière de la maladie des Abdéritains[2].

Je vous fais confidence de toutes mes folies. C’est la marque la plus grande de ma confiance et de l’estime avec laquelle je suis inviolablement, mon cher ami, votre, etc.

Fédéric

P. S. J’ai quelque bagatelle d’ambre pour Cirey, et j’ai du vin de Hongrie que l’on me dit être un baume pour la santé de mon ami. Je voudrais envoyer cet emballage par Hambourg à Rouen, et de là à Paris, sous l’adresse de Thieriot : car je ne crois pas qu’on trouvât aisément quelque voiturier qui voulût s’en charger.


966. — À MADEMOISELLE QUINAULT.
Cirey, ce 24 novembre 1738.

On vous écrit souvent, mademoiselle, comme à l’arbitre du bon goût, et à la personne de France qui juge le mieux des ouvrages d’esprit. Je ne m’adresse aujourd’hui qu’à votre cœur et à la bonté de votre caractère. Il y a dans le monde un M. Guyot de Merville qui travaille pour votre théâtre ; je l’ai connu autrefois par hasard, et je ne l’ai connu que pour lui rendre service ;

  1. C’était une Épître adressée au prince Auguste-Guillaume, frère puiné du prince royal.
  2. Une fièvre chaude les avait rendus insensés.