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trahison qui fait le sujet de cette tragédie. L’histoire dit seulement qu’il enleva la femme de Séide, l’un de ses disciples, et qu’il persécuta Abusofian, que je nomme Zopire ; mais quiconque fait la guerre à son pays, et ose la faire au nom de Dieu, n’est-il pas capable de tout ? Je n’ai pas prétendu mettre seulement une action vraie sur la scène, mais des mœurs vraies ; faire penser les hommes comme ils pensent dans les circonstances où ils se trouvent, et représenter enfin ce que la fourberie peut inventer de plus atroce, et ce que le fanatisme peut exécuter de plus horrible. Mahomet n’est ici autre chose que Tartuffe les armes à la main.

Je me croirai bien récompensé de mon travail si quelqu’une de ces âmes faibles, toujours prêtes à recevoir les impressions d’une fureur étrangère qui n’est pas au fond de leur cœur, peut s’affermir contre ces funestes séductions par la lecture de cet ouvrage ; si, après avoir eu en horreur la malheureuse obéissance de Séide, elle se dit à elle-même : Pourquoi obéirais-je en aveugle à des aveugles qui me crient : Haïssez, persécutez, perdez celui qui est assez téméraire pour n’être pas de notre avis sur des choses même indifférentes que nous n’entendons pas ? Que ne puis-je servir à déraciner de tels sentiments chez les hommes ! L’esprit d’indulgence ferait des frères ; celui d’intolérance peut former des monstres.

C’est ainsi que pense Votre Majesté. Ce serait pour moi la plus grande des consolations de vivre auprès de ce roi philosophe. Mon attachement est égal à mes regrets ; et si d’autres devoirs m’entraînent, ils n’effaceront jamais de mon cœur les sentiments que je dois à ce prince qui pense et qui parle en homme ; qui fuit cette fausse gravité sous laquelle se cachent toujours la petitesse et l’ignorance ; qui se communique avec liberté, parce qu’il ne craint point d’être pénétré ; qui veut toujours s’instruire, et qui peut instruire les plus éclairés.

Je serai toute ma vie, avec le plus profond respect et la plus vive reconnaissance, etc.


1390. — À M. THIERIOT[1].
Jour de Noël.

Montrez, je vous prie, à M. l’abbé de Rothelin cette ode[2] que j’ai retrouvée dans mes paperasses. Je cherche toujours à lui

  1. C’est à tort que Deuchot a classé cette lettre en décembre 1742. Elle ne peut être que de 1740.
  2. Ode sur la Mort de l’empereur Charles VI.