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ANNÉE 1740

carre des courbes ; le philosophe littérateur[1] traduit du grec, et le savant doctissime[2] ne fait rien, ou peut-être quelque chose qui en approche beaucoup.

Adieu, encore une fois, cher Voltaire, n’oubliez pas les absents qui vous aiment.

Fédéric.

1389. — À FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE[3].
(Rotterdam), décembre.

Sire, je ressemble à présent aux pèlerins de la Mecque, qui tournent les yeux vers cette ville après l’avoir quittée ; je tourne les miens vers votre cour. Mon cœur, pénétré des bontés de Votre Majesté, ne connaît que la douleur de ne pouvoir vivre auprès d’elle. Je prends la liberté de lui envoyer une nouvelle copie de cette tragédie de Mahomet, dont elle a bien voulu, il y a déjà longtemps, voir les premières esquisses. C’est un tribut que je paye à l’amateur des arts, au juge éclairé, surtout au philosophe, beaucoup plus qu’au souverain.

Votre Majesté sait quel esprit m’animait en composant cet ouvrage ; l’amour du genre humain et l’horreur du fanatisme, deux vertus qui sont faites pour être toujours auprès de votre trône, ont conduit ma plume. J’ai toujours pensé que la tragédie ne doit pas être un simple spectacle qui touche le cœur sans le corriger. Qu’importent au genre humain les passions et les malheurs d’un héros de l’antiquité, s’ils ne servent pas à nous instruire ? On avoue que la comédie du Tartuffe, ce chef-d’œuvre qu’aucune nation n’a égalé, a fait beaucoup de bien aux hommes, en montrant l’hypocrisie dans toute sa laideur ; ne peut-on pas essayer d’attaquer, dans une tragédie, cette espèce d’imposture qui met en œuvre à la fois l’hypocrisie des uns et la fureur des autres ? Ne peut-on pas remonter jusqu’à ces anciens scélérats, fondateurs illustres de la superstition et du fanatisme, qui, les premiers, ont pris le couteau sur l’autel pour faire des victimes de ceux qui refusaient d’être leurs disciples ?

Ceux qui diront que les temps de ces crimes sont passés ; qu’on ne verra plus de Barcochebas, de Mahomet, de Jean de Leyde, etc. ; que les flammes des guerres de religion sont éteintes,

  1. Dumolard.
  2. Jordan.
  3. Sur cette lettre voyez tome IV (tome III du Théâtre) page 100, note 1. Cette lettre n’est pas dans l’édition de Preuss.