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Les beaux-arts, la magnificence,
La bonne chère, l’abondance.
Y font oublier le destin
De l’Italie et de la France.
De l’Italie ! Algarolti,
Comment trouvez-vous ce langage ?
Je vous vois, frappé de l’outrage,
Me regarder en ennemi.
Modérez ce bouillant courage,
Et répondez-nous en ami.
Vos pantalons[1] à robe d’encre,
Vos lagunes[2] à forte odeur,
Où deux galères sont à l’ancre,
Dix mille putains dont le…
Plus que vos canaux est profond.
Malgré le virus qui l’échancre ;
Un palais sans cour et sans parc
Où végète un doge inutile ;
Un vieux manuscrit d’Évangile
Griffonné, dit-on, par saint Marc ;
Vos nobles, avec prud’homie,
Allant du sénat au marché
Chercher pour deux sous d’eau-de-vie ;
Un peuple mou, faible, entiché
D’ignorance et de fourberie.
Le fessier souvent ébrèché,
Grâce aux efforts du vieux péché
Que l’on appelle sodomie,
Voilà le portrait ébauché
De la très-noble seigneurie.
Or cela vaut-il, je vous prie,
Notre adorable Frédéric,
Ses vertus, ses goûts, sa patrie ?
J’en fais juge tout le public.

J’espère que je ne serai pas dénoncé au conseil des Dix. On dit que la République entretient un apothicaire qui a l’honneur d’être l’empoisonneur ordinaire de la sérénissime, et qui donne parties égales de jusquiame, de ciguë et d’opium aux mauvais plaisants ; mais je n’en crois rien. D’ailleurs, si je meurs, ce sera, je crois, dans le Rhin ou dans la Meuse, entre lesquels je me trouve renfermé, et qui se débordent de leur mieux. Je serai

  1. Par ce nom des personnages de la comédie italienne Voltaire désigne ici les prêtres inquisiteurs. (Cl.)
  2. Les lagunes de Venise, ville natale d’Algarotti.