Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/560

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Je quitte un demi-dieu que je dois encenser,
Le modèle des rois dans l’art de se conduire,
Et le mien dans l’art de penser.

J’ai paru devant vous, ô respectable mère[1] !
Vous à qui doit Berlin sa gloire et son appui,
Vous dont tient mon héros son divin caractère,
Vous qu’on aime à la fois et pour vous et pour lui.

Les sœurs[2] de Marc-Aurèle, Henri[3], son digne frère,
Tour à tour enchantent mes yeux.
Je crois voir dans leur sanctuaire
Les dieux encore enfants, et Cybèle avec eux.

Ce superbe arsenal, où la main de la guerre
Tient la destruction des plus fermes remparts.
Me paraît à la fois le monument des arts,
Le séjour de la Mort, de Mars, et du tonnerre.

Mais d’où partent ces doux concerts ?
C’est Achille qui chante, Apollon qui l’inspire ;
Il porte entre ses mains et l’épée et la lyre ;
Il fait le destin de l’empire ;
Il fait plus, il fait de beaux vers.

Je reçois, sire, dans ce moment, une lettre[4] de Votre Majesté, que M. de Raesfeld me renvoie.

Je suis bien fâché de ne l’avoir pas reçue plus tôt, j’aurais été consolé. Votre Majesté m’apprend qu’elle a pris le parti de désavouer l’une et l’autre édition, et d’en faire imprimer une nouvelle leçon à Berlin, quand elle en aura le loisir. Cela seul suffit pour mettre sa gloire en sûreté, en cas qu’il y ait quelque chose dans ces éditions qui déplaise à Sa Majesté. L’ouvrage est déjà si généralement goûté que Votre Majesté ne peut que se rendre encore plus respectable en corrigeant ce que j’ai gâté, et en fortifiant ce que j’ai affaibli. Puissé-je être aussi fripon qu’un jésuite[5] aussi gueux qu’un chimiste, aussi sot qu’un capucin, si j’ai rien en vue que votre gloire ! Sire, je vous ai érigé un autel dans mon cœur ; je suis sensible à votre réputation comme

  1. Sophie-Dorothée de Hanovre, sœur du roi d’Angleterre George II ; morte
    en 1757.
  2. Wilhelmine, margrave de Bareith ; les princesses Ulrique et Amélie, etc.
  3. Frédéric-henri-Louis, né le 18 janvier 1726.
  4. La lettre 1355.
  5. Voyez la lettre au Père de La Tour, du 7 février 1746.