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aux autres hommes, pourvu qu’il eût le courage de les mettre en pratique. S’il est né prince, il contracte un engagement bien solennel avec le public ; et l’empereur Antonin ne se serait pas acquis la gloire immortelle qu’il conservera dans tous les siècles s’il n’avait soutenu par la justice de son gouvernement la belle morale dont il avait donné des leçons si instructives à tous les souverains.

Vous me dites des choses si flatteuses pour moi que je n’ai garde de les prendre à la lettre ; mais elles ne laissent pas de me faire un sensible plaisir, parce qu’elles sont du moins une preuve de votre amitié. Je serais infiniment touché que Sa Majesté prussienne pût trouver dans ma conduite quelque conformité avec ses principes ; mais du moins puis-je vous assurer que je sens et regarde les siens comme le modèle du plus parfait et du plus glorieux gouvernement.

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Je tombe sans y penser dans des réflexions politiques, et je finis en vous assurant que je tâcherai de ne pas me rendre indigne de la bonne opinion que Sa Majesté prussienne daigne avoir de moi. Il a la qualité de prince de trop ; et s’il n’était qu’un simple particulier, on se ferait un bonheur de vivre avec lui en société. Je vous porte envie, monsieur, d’en jouir, et vous félicite d’autant plus que vous ne le devez qu’à vos talents et à vos sentiments, etc.


1379. — À M. THIERIOT[1].
Remusberg. 24 novembre 1740.

J’ai reçu, mon cher monsieur, votre lettre du 7 ; je commence par vous dire que je viens de parler à Sa Majesté en présence de M. de Keyserlingk. Les sentiments de ce grand homme sont dignes de ses lumières. Il a dans l’instant réglé tout ce qui vous regarde ; il se réserve le plaisir de vous en faire instruire lui-même.

J’ai tout lieu de croire que Dumolard sera content. Pour moi, je le suis plus que personne d’avoir vécu huit jours auprès d’un homme que tout le monde se disputerait à Paris, et qui n’a nul besoin d’être roi.

M. de Maupertuis est ici, mais il est enfoncé dans ses calculs. Je suis une passade, et j’ai eu l’agrément des coquetteries. Je pars, car c’en est trop que d’avoir quitté huit jours ses anciens amis pour un souverain, quelque aimable qu’il puisse être. M. Algarotti n’est point venu au Marly de Rémusberg ; il fait l’amour à Berlin, et il y fait aussi la vie de César ; le premier emploi n’est pas le pire des deux.

  1. Pièces inédites de Voltaire, 1820.