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1371. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Remusberg, 26 octobre.

Mon cher Voltaire, l’événement le moins prévu du monde m’empêche, pour cette fois, d’ouvrir mon âme à la vôtre comme d’ordinaire, et de bavarder comme je le voudrais. L’empereur[1] est mort.

Ce prince, né particulier,
Fut roi, puis empereur ; Eugène fut sa gloire ;
Mais, par malheur pour son histoire,
Il est mort en banqueroutier.

Cette mort dérange toutes mes idées pacifiques, et je crois qu’il s’agira, au mois de juin, plutôt de poudre à canon, de soldats, de tranchées, que d’actrices, de ballets, et de théâtre ; de façon que je me vois obligé de suspendre le marché[2] que nous aurions fait. Mon affaire de Liège est toute terminée[3], mais celles d’à présent sont de bien plus grande conséquence pour l’Europe ; c’est le moment du changement total de l’ancien système de politique ; c’est ce rocher détaché qui roule sur la figure des quatre métaux que vit Nabuchodonosor[4], et qui les détruisit tous. Je vous suis mille fois obligé de l’impression de Machiavel achevée ; je ne saurais y travailler à présent ; je suis surchargé d’affaires. Je vais faire passer ma fièvre, car j’ai besoin de ma machine, et il en faut tirer à présent tout le parti possible.

Je vous envoie une ode[5], en réponse à celle de Gresset. Adieu, cher ami, ne m’oubliez jamais, et soyez persuadé de la tendre estime avec laquelle je suis votre très-fidèle ami.


1372. — À M. HELVÉTIUS,
à paris.
À la Haye, au palais du roi de Prusse, ce 27 d’octobre.

Mon cher et jeune Apollon, mon poëte philosophe, il y a six semaines que je suis plus errant que vous. Je comptais, de jour en jour, repasser par Bruxelles, et y relire deux pièces[6] char-

  1. Charles VI.
  2. Relativement à une troupe de comédiens ; voyez page 516.
  3. L’accommodement entre le roi de Prusse et l’évêque de Liège avait été signé à Berlin le 20 octobre.
  4. Daniel, ii, 34.
  5. L’ode de Frédéric à Gresset est la deuxième dans les diverses éditions soit des Poésies, soit des Œuvres primitives du roi de Prusse.
  6. Voyez ces pièces avec les remarques de Voltaire, tome XXIII, pages 5 et suivantes.