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Il esquive le quipquina
Pour conserver sa fièvre quarte.

Sire, dans ce moment monseigneur le prince de Hesse[1] vient de m’assurer que le roi de Suède ayant été longtemps dans la même opinion que Votre Majesté, accablé d’une longue fièvre, a fait céder enfin son opiniâtreté à celle de la maladie, a pris le quinquina, et a guéri.

Je sais que tous les rois ensemble
Sont loin de mon roi vertueux ;
Votre âme l’emporte sur eux,
Mais leur corps au moins vous ressemble.

Si dans le climat de la Suède un roi (soit qu’il prenne parti pour la France ou non) guérit parla poudre des Jésuites, pourquoi, sire, n’en prendriez-vous pas ?

À Loyola que mon roi cède !
Hue votre esprit luthérien
Confonde tout ignatien !
Mais pour votre estomac prenez de son remède.

Sire, je veux venir à Berlin avec une balle de quinquina en poudre. Votre Majesté a beau travailler en roi avec sa fièvre, occuper son loisir en faisant de la prose de Cicéron et des vers de Catulle, je serai toujours très-affligé de cette maudite fièvre que vous négligez.

Si Votre Majesté veut que je sois assez heureux pour lui faire ma cour pendant quelques jours.

Mon cœur et ma maigre figure
Sont prêts à se mettre en chemin ;
Déjà le cœur est à Berlin,
Et pour jamais, je vous le jure.

Je serai dans une nécessité indispensable de retourner bientôt à Bruxelles, pour le procès de Mme du Châtelet, et de quitter Marc-Aurèle pour la chicane ; mais, sire, quel homme est le maître de ses actions ? Vous-même n’avez-vous pas un fardeau immense à porter, qui vous empêche souvent de satisfaire vos goûts en remplissant vos devoirs sacrés ? Je suis, etc.

  1. Frédéric, né le 14 auguste 1720, neveu du roi de Suède Frédéric Ier, cité ici. Il venait d’épouser (17 mai 1740) une fille de George II, roi d’Angleterre.