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Un nom plus grand me frappe et remplit l’hémisphère ;
L’auguste Vérité dresse déjà l’autel,
Et l’Amitié paraît pour te placer, Voltaire,
Dans son temple immortel.

Mornai[1], de ces lambris habitant pacifique,
Dès longtemps solitaire, heureux et satisfait,
Entend ta voix, s’étonne, et son âme héroïque
T’aperçoit sans regret.

« Par zèle et par devoir j’ai secondé mon maître ;
Ou ministre, ou guerrier, j’ai servi tour à tour ;
Ton cœur plus généreux assiste (sans paraître)
Ton ami par amour.

Celui qui me chanta m’égale et me surpasse ;
Il m’a peint d’après lui ; ses crayons lumineux
Ornèrent mes vertus, et m’ont donné la place
Que j’ai parmi les dieux. »

Ainsi parlait ce sage ; et les intelligences
Aux bouts de l’univers l’annonçaient aux vivants ;
Le ciel en retentit, et ses voûtes immenses
Prolongeaient leurs accents.

Pendant qu’on t’applaudit et que ton éloquence
Terrasse, en ma faveur, deux venimeux serpents[2],
L’amitié me transporte, et je m’envole en France
Pour fléchir tes tyrans.

O divine amitié d’un cœur tendre et flexible !
Seul espoir dans ma vie, et seul bien dans ma mort,
Tout cède devant toi ; Vénus est moins sensible.
Hercule était moins fort.

J’emploie toute ma rhétorique auprès d’Hercule de Fleury pour voir si l’on pourra l’humaniser sur votre sujet. Vous savez ce que c’est qu’un prêtre, qu’un politique, qu’un homme très-têtu, et je vous prie d’avance de ne me point rendre responsable des succès qu’auront mes sollicitations ; c’est un Van Duren placé sur le trône.

Ce Machiavel[3] en barrette,
Toujours fourré de faux-fuyants,
Lève de temps en temps sa crête,
Et honnit les honnêtes gens.

  1. Un membre de la famille de Philippe de Mornai s’est marié, il y a plusieurs années, à une arrière-petite-nièce de Voltaire. (Cl.)
  2. Van Duren et le vieil évêque de Liège.
  3. Jusqu’à présent le roi n’avait fait que trois syllabes de Machiavel, et cinq de machiavélisme ; mais, dans ses vers faisant partie de la lettre 1360, voyez page.520, Voltaire ayant employé ce mot comme il doit l’être pour quatre syllabes, Frédéric n’eut pas besoin d’autre avertissement.