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roi. Quelque Goth et quelque Vandale trouveront peut-être à redire qu’un souverain ose si bien penser et si bien écrire ; ils regretteront les heureux temps où les rois signaient leur nom avec un monogramme, sans savoir épeler ; mais mon cher Cideville et tous les êtres pensants applaudiront. Je n’y sais autre chose que d’envoyer un exemplaire du livre à M. de Pontcarré[1], avec un autre pour vous dans le paquet.

Et Mahomet ; il est tout prêt. Quand, comment le faire tenir au meilleur de mes amis et de mes juges ?

Je vous embrasse mille fois.


1368. — DE FRÉDÉRIC II, ROI DE PRUSSE.
Remusberg, 21 octobre.

Mon cher Voltaire, je vous suis mille fois obligé de tous les bons offices que vous me rendez, du Liégeois[2] que vous abattez, de Van Duren que vous retenez, et, en un mot, de tout le bien que vous me faites. Vous êtes enfin le tuteur de mes ouvrages, et le génie heureux que sans doute quelque être bienfaisant m’envoie pour me soutenir et m’inspirer.

Ô vous, mortels ingrats ! ô vous, cœurs insensibles !
Qui ne connaissez point l’amour ni la pitié,
Qui n’enfantez jamais que des projets nuisibles,
Adorez l’Amitié.

La vertu la fit naître, et les dieux la douèrent
De l’honneur scrupuleux, de la fidélité ;
Les traits les plus brillants et les plus doux l’ornèrent
De la divinité.

Elle attire, elle unit les âmes vertueuses,
Leur sort est au-dessus de celui des humains ;
Leurs bras leur sont communs, leurs armes généreuses
Triomphent des destins.

Tendre et vaillant Nisus, vous, sensible Euryale[3],
Héros dont l’amitié, dont le divin transport
Sut resserrer les nœuds de votre ardeur égale
Jusqu’au sein de la mort ;

Vos siècles engloutis du temps qui les dévore,
Contre les hauts exploits à jamais conjurés,
N’ont pu vous dérober l’encens dont on honore
Vos grands noms consacrés.

  1. Premier président du parlement de Rouen.
  2. Le prince-évêque de Liège.
  3. Frédéric, en 1739, avait commencé une tragédie intitulée Nisus et Euryale.