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des ailes à Remusberg pour voler à l’immortalité. Vous irez, sire, par toutes les routes ; mais celle-ci ne sera pas la moins glorieuse :

J’en atteste le dieu que l’univers adore,
Qui jadis inspira Marc-Aurèle et Titus,
Qui vous donna tant de vertus,
Et que tout bigot déshonore.

[1]Il vient tous les jours ici de jeunes officiers français ; on leur demande ce qu’ils viennent faire : ils disent qu’ils vont chercher de l’emploi en Prusse. Il y en a quatre actuellement de ma connaissance : l’un est le fils du gouverneur de Bergues-Saint-Vinoc ; l’autre, le garçon-major[2] du régiment de Luxembourg ; l’autre, le fils d’un président ; l’autre, le bâtard d’un évêque. Celui-ci s’est enfui avec une fille, cet autre s’est enfui tout seul, celui-là a épousé la fille de son tailleur, un cinquième veut être comédien en attendant qu’on lui donne un régiment[3].

J’apprends une nouvelle qui enchante mon esprit tolérant ; Votre Majesté fait revenir de pauvres anabaptistes qu’on avait chassés, je ne sais trop pourquoi.

Que deux fois on se rebaptise.
Ou que l’on soit débaptisé,
Qu’étole au cou Jean exorcise,
Ou que Jean soit exorcisé ;
Qu’il soit hors ou dedans l’Église,
Musulman, brachmane, ou chrétien.
De rien je ne me scandalise,
Pourvu qu’on soit homme de bien.
Je veux qu’aux lois on soit fidèle,
Je veux qu’on chérisse son roi ;
C’est en ce monde assez, je croi :
Le reste, qu’on nomme la foi.
Est bon pour la vie éternelle,
Et c’est peu de chose pour moi.

  1. Dans un fragment publié par MM. de Cayrol et François, ce paragraphe est précédé de celui-ci : « Il (le nom est illisible) était connu de feu Sa Majesté ; il veut absolument venir servir dans vos armées ; il compte partir peut-être demain. Il m’a demandé une lettre pour Votre Majesté. J’ai eu beau lui dire que je ne prenais pas de telles libertés, il m’a répliqué qu’il fallait que j’écrivisse : cet homme est si résolu que je ne le suis guère avec lui ; je crois qu’il me battrait, si je ne lui donnais pas la lettre. Je préviens donc Votre Majesté que j’aurai cette effronterie, moitié par peur, moitié par envie de servir Votre Majesté. »
  2. M. de Champflour, d’une famille de l’ancienne Auvergne.
  3. Dans le fragment cité plus haut, on trouve après ces mots la phrase suivante : « C’est une chose plaisante que la jeunesse française : ce sont les marionnettes de l’Europe. »