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Race gueuse, fiére, et vénale,
Héros errants et bigarrés,
Portant avec habits dorés
Diamants faux et linge sale ;
Hurlant pour l’empire romain,
Ou pour quelque fière inhumaine,
Gouvernant, trois fois la semaine,
L’univers pour gagner du pain.

Vous aurez maussades actrices,
Moitié femme et moitié patin.
L’une bégueule avec caprices,
L’autre débonnaire et catin,
À qui le souffleur ou Crispin
Fait un enfant dans les coulisses.

Dieu soit loué que Votre Majesté prenne la généreuse résolution de se donner du bon temps ! C’est le seul conseil que j’aie osé donner ; mais je défie tous les politiques d’en proposer un meilleur. Songez à ce mal fixe de côté ; ce sont de ces maux que le travail du cabinet augmente et que le plaisir guérit. Sire, qui rend heureux les autres mérite de l’être, et avec un mal de côté on ne l’est point.

Voici enfin, sire, des exemplaires de la nouvelle édition de l’Anti-Machiavel. Je crois avoir pris le seul parti qui restait à prendre, et avoir obéi à vos ordres sacrés. Je persiste toujours à penser qu’il a fallu adoucir quelques traits qui auraient scandalisé les faibles et révolté certains politiques. Un tel livre, encore une fois, n’a pas besoin de tels ornements. L’ambassadeur Camas serait hors des gonds s’il voyait à Paris de ces maximes chatouilleuses, et qu’il pratique pourtant un peu trop. Tout vous admirera, jusqu’aux dévots. Je ne les ai pas trop dans mon parti, mais je suis plus sage pour vous que pour moi. Il faut que mon cher et respectable monarque, que le plus aimable des rois plaise à tout le monde. Il n’y a plus moyen de vous cacher, sire, après l’ode[1] de Gresset ; voilà la mine éventée, il faut paraître hardiment sur la brèche. Il n’y a que des Ostrogoths et des Vandales qui puissent jamais trouver à redire qu’un jeune prince ait, à l’âge de vingt-cinq ou vingt-six ans, occupé son loisir à rendre les hommes meilleurs, et à les instruire, en s’instruisant lui-même. Vous vous êtes taillé

  1. M. Renouard (Antoine-Augustin) rapporte, à la fin de la Vie de Gresset, page 61, tome 1er de l’édition des œuvres de ce poète publiée par lui en 1821, deux strophes de l’ode à laquelle Voltaire fait allusion ici. (Cl.)