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crois, déjà dit à Votre Majesté, il n’en est pas tout à fait de même de ceux qui ont moins d’esprit et plus de préjugés. Autant ils sont forcés d’admirer ce qu’il y a d’éloquent et de vertueux dans le livre, autant ils s’efforcent de noircir ce qu’il y a d’un peu libre. Ce sont des hiboux offensés du grand jour ; et, malheureusement, il y a trop de ces hiboux dans le monde. Quoique j’eusse retranché ou adouci beaucoup de ces vérités fortes qui irritent les esprits faibles, il en est cependant encore resté quelques-unes dans le manuscrit copié par Van Duren. Tous les gens de lettres, tous les philosophes, tous ceux qui ne sont que gens de bien, seront contents ; mais le livre est d’une nature à devoir satisfaire tout le monde ; c’est un ouvrage pour tous les hommes et pour tous les temps. Il paraîtra bientôt traduit dans cinq ou six langues[1].

Il ne faut pas, je crois, que les cris des moines et des bigots s’opposent aux louanges du reste du monde : ils parlent, ils écrivent, ils font des journaux ; il y a même, dans l’Anti-Machiavel, quelques traits dont un ministre malin pourrait se servir pour indisposer quelques puissances.

C’est donc, sire, dans la vue de remédier à ces inconvénients que j’ai fait travailler nuit et jour à cette nouvelle édition, dont j’envoie les premières feuilles à Votre Majesté. Je n’ai fait qu’adoucir certains traits de votre admirable tableau, et j’ose m’assurer qu’avec ces petits correctifs, qui n’ôtent rien à la beauté de l’ouvrage, personne ne pourra jamais se plaindre, et cette instruction des rois passera à la postérité comme un livre sacré que personne ne blasphèmera.

Votre livre, sire, doit être comme vous ; il doit plaire à tout le monde ; vos plus petits sujets vous aiment, vos lecteurs les plus bornés doivent vous admirer.

Ne doutez pas que votre secret, étant entre les mains de tant de personnes, ne soit bientôt su de tout le monde. Un homme de Clèves disait, tandis que votre Majesté était à Moyland : « Est-il vrai que nous avons un roi, un des plus savants et des plus grands génies de l’Europe ? On dit qu’il a osé réfuter Machiavel. »

Votre cour en parle depuis plus de six mois. Tout cela rend nécessaire l’édition que j’ai faite, et dont je vais distribuer les exemplaires dans toute l’Europe, pour faire tomber celle de Van Duren, qui d’ailleurs est très-fautive.

  1. J’ai vu une traduction allemande et une traduction hollandaise, toutes les deux sous la date de 1741. (B.)